jamais Stelian ne s'en voulait
la culpabilité lui était un sentiment complètement méconnu, loin de ses considérations maniaques et narcissiques, lorsqu'il faisait le choix du deuil et de la pudeur à un instant où le monde l'attendait grandiloquent et excessif.
il n'avait jamais grande considération pour les autres, quand bien même ces autres détenaient un rôle majeur dans l'univers sur lequel il pensait régner, ne souffrait d'aucune forme d'empathie qui pourrait lui tordre le ventre en écho à la peine d'autrui - et plus encore, quand il avait fait le choix délibéré
quel pléonasme
de tenir loin de l'eros une femme qui avait osé attaquer sa vanité et son orgueil

par ses gestes sensuels et le grain de sa voix chaleur ; les lignes de son visage gravés indélébiles dans son esprit puritain
qui lui avaient fait tourner la tête bien plus que le champagne à la Danse des Azalées
et son esprit son corps son être venu torturer sur un terrain neutre l'humanité mise à nu du Phoenix qui avait cru - oh il l'avait sincèrement pensé
devoir enterrer la seule femme de sa vie

pourtant elle était obsédante, l'étrangère
dans ses insomnies dévorées par l'horreur d'avoir perdu entre ses bras la seule à l'avoir jamais aimé - et celle trahie par dessus tout le reste pour une ascension qui semble bien maigre à côté
Stelian aurait dû voir Medea elle et seulement elle entendre son rire le son de sa voix imaginer le toucher sur sa peau - et pourtant les sensations fantasmées n'avaient rien à voir ; quelque chose de terrifiant, d'incontrôlé incontrôlable - et il détestait cela plus encore que la mort.

et tout de noir vêtu, magnifique dans ces temps si troubles, d'une sobriété inédite il se présente à l'entrée de l'appartement d'Emma-Serah Hottenberg ; peut-être que la rancoeur de Medea avait servi de garde-fou tout ce temps, pour sa culpabilité trop lourde
et maintenant qu'elle n'était plus là, il était temps,
sans qu'il la laisse partir encore
qu'il assume cette responsabilité pour deux.

— Emma ? Ouvre, s'il te plaît.

Le cliquetis de la porte automatique qui signifie l'entrée autorisée dans l'immeuble, il n'a aucun besoin de renseignements et monte directement à l'étage de la belle, ses mains maculées de sang tenant un bouquet de roses - quarante-huit exactement- d'un rouge impeccable, et une bouteille de champagne hors de prix.
en toute modestie, Stelian venait se confesser.

Elle ouvre et laisse apparaître sa silhouette indécente sur le pas de la porte, Emma-Serah trouvera un Stelian dénaturé de toute arrogance, sans sourire pour arquer son visage et pas la moindre belligérance dans le ton de sa voix.
Tant qu'il le pouvait il leva les mains en l'air, osa le seul rictus de son repentir.

— je viens en paix.

il ne tendait pas le bouquet de roses d'abord, mais la bouteille outrageusement chère qu'il avait commandée chez son producteur favori.
les fleurs ne seraient pas pour elle, si elle n'en voulait pas - un peu pour eux deux, en fait.

— et juste savoir comment tu te portes.

en toute humilité, c'était l'absolution qu'il venait chercher.

Tu as apaisé ta conscience, tu peux rentrer chez toi maintenant
Absolument.
Le voilà repenti, la bonne action menée à terme et effectivement, maintenant Stelian sait.
Il sait qu'Emma-Serah Hottenberg, bien vivante entre ses murs, dans une sécurité relative mais les étrangers jamais ne demeurent entre les murs d'Ellipse, et rien de tout ça n'était son problème davantage - évidemment.
Alors il hausse les sourcils, et abattu par ses propres pêchés, presque, il se résigne - et renonce, à la dernière seconde.

Parce qu'il sait oui.
Il sait qu'elle est là, vivante.
Mais il a vu, aussi.
Le maquillage parfaitement appliqué pour dissimuler les nuits sans sommeil, les journées à rallonge, les remises en question injustes et lancinantes, la douleur portée au coeur et traduite sur chaque parcelle de peau ; quand bien même, Emma-Serah splendide en toute beauté et rien de marqué jusqu'à la clarté de sa voix.

Alors il ne renonce pas.
Ferme la porte derrière lui, les enferme à l'intérieur de la prison dorée dans laquelle on avait assignée la plus belle proie de son tableau de chasse.
Il ne renonce pas à la porter elle aussi, pour éviter de se regarder en face et panser les blessures assassines qui courent dans son psyché pour tenir toutes les ambitions qui l'avaient tenu depuis l'enfance. Pour ne pas s'écrouler après le coup fatal porté au coeur glacé dont il s'était paré depuis des années. Pour ne pas voir que toutes les horreurs commises. Tout le sang versé. Tous les cadavres dans son manoir.
Ne pas voir que tout ça n'avait servi à rien.

— Non.

Calmement, Stelian dépose le bouquet de rose sur le comptoir de l'entrée, le laisse à l'abandon s'il faut et peut-être repartira avec - mais un instant, ces instants, ça n'était plus la priorité et il pouvait délaisser tous les artifices qu'il voulait.
Rien ne saurait combler la plaie béante laissée par Medea Van der Bilt.
Mais rien non plus ne saurait éteindre le brasier qu'il sent s'allumer au fond de son être - quand il croise les jolis yeux d'Emma-Serah, si sombres, si ternes.
Et que sa rage de vivre se ravive dès lors.

— Je viens seulement t'apporter un peu de soutien. Pour la dernière fois.

Calmement, Stelian défait le bouchon de la bouteille de champagne, et prend place sans détailler la pièce somptueuse de l'appartement d'Emma-Serah, trop concentré à son oeuvre - et les rares fois où il pose son regard sur elle, il sent la tornade le submerger à nouveau.
Cette fois, il ferait face.

— Si tu veux que je m'en aille, je m'en irai. Mais hors de question de te laisser dans cet état, sans rien faire.

Le bruit du bouchon trop agréable, et il ouvre les mains, l'une vide, l'autre maintenant la bouteille ouverte.

— Le champagne est ouvert : soit tu descends cette bouteille seule, avec ton chat. Soit avec moi. T'as le choix.

Il ose un sourire narquois - et pour contrebalancer l'arrogance qu'il savait détestée par elle, se permet d'ajouter.

— Je serai ravi - honoré que tu acceptes ma compagnie pour ce soir. En échange, je te promets de répondre à toutes les questions que tu as à me poser. Sans te mentir.

Le bruit de la bouteille posée sur la table en verre - et il incline la tête un instant.

— je te le jure.

si elle le voulait, Emma-Serah le verrait - il n'y avait plus que l'homme mis à nu devant elle.
Rien du PDG, aucun chef de gang.
Juste elle et lui.

Qu'est ce que ça peut te faire ?
Stelian se mord les lèvres, plutôt que vociférer des paroles qu'il aurait sûrement regrettées la seconde suivante. Alors il baisse la tête, reste mutique et serein, les épaules détendues - las.
Elle pose les deux coupes de champagne.
Lui lâche la bouteille sur la surface en verre du bar à son côté.

Finalement, il préférait quand elle ne parlait pas autant, si c'était pour le rejeter de la sorte - Stelian n'en avait pas l'habitude, lui qui charmait et abusait de son entourage en permanence. Il avait un contrôle absolu, entier sur chaque créature gravitant autour de lui, par la séduction ou la crainte un peu des deux aussi.

Il mord sa lèvre quelques secondes avant de lui répondre.
Et cette réponse, il la fait avec une spontanéité rare.

— Tu trouves que j'ai gagné, toi ?

Un premier genou à terre dans leur imaginaire, et Stelian prend appui sur le rebord du canapé au centre de la pièce. Sans se détourner de leur échange visuel, l'homme fatigué qu'il était lâche l'écharpe dénoué de son cou et la lance sur les coussins impeccablement placés pour donner l'effet recherché - en permanence dans la vie d'Emma-Serah, à ne pas en douter.

— J'ai peut-être le beau rôle, dans l'histoire. Mais la vérité, c'est que j'ai aussi perdu la femme que j'aimais. Que ceux qui m'entourent doutent de ma capacité à les protéger. Certains en profitent même pour me faire passer pour un oiseau de mauvaise augure.

Il ne se crispe pas - le visage étonnement serein, ses traits étaient relâchés comme rarement vus.
Ne pas voir que tout ça n'avait servi à rien. Quand bien même on ne voit que ça.

— Ce n'est pas ça, le pire. C'est de savoir qu'au fond, c'est mérité. Je ne me plains pas. Je ne m'apitoie pas. J'ai bâti un empire et j'ai réussi ma vie exactement comme je la souhaitais. Mais parfois, il arrive que ça soit pesant, aussi.

Un mouvement de tête pour désigner le champagne. Un autre vers le bouquet de roses abandonné.

— Alors parler de tout ça comme une simple victoire ? Pas exactement, non.

Stelian agite la tête de droite à gauche, légèrement.

— Toi, tu m'as demandé de venir, après l'attentat. Et j'avais envie de penser que ça n'était pas simplement pour le gros scoop constitué par l'interview de PDG de Parker's & Co pouvait représenter.

Un peu pour moi.
Un peu pour toi aussi.

— Maintenant, à ton tour, et sans mentir : tu veux que je parte ?

Il n'avait pas bougé.

les mots n'étaient plus suffisants, lorsqu'elle tend la coupe de champagne vers lui et l'invite tacitement à rester. La réponse trop belle aussi, lorsqu'elle pose ses yeux de jade sur lui, éreinté et les armes baissées ; alors il lui sourit en retour, se lève le temps de faire tinter le verre contre son jumeau et les quelques secondes classiques entre eux passent lentement ; s'écoulent silencieusement alors ils se dévorent ils le savent le sentent trop bien : jusqu'au creux de leur chair.

Et Stelian tourne les talons, fait tomber son manteau austère contre le dossier du canapé et s'y installe, aisément, garde le silence aussi un moment.

Demain, ce moment sera oublié.
Demain, ils redeviendront M. Phonix, Lady Hottenberg, et chacun installera son empire en concurrence, tous deux seront des étrangers l'un à l'autre peut-être et la rancoeur reviendra sûrement : un cycle indéfini dans lequel Stelian peignait chacune de ses relations, s'en mordait les doigts parfois mais recommençait inlassablement - elle sera comme les autres.
Sans doute.

— J'ai hésité avant de venir.

Une première gorgée de champagne vient irriter sa gorge, et M. Phoenix aurait croisé ses jambes pour s'enfoncer dans le dossier, serein et dominateur - Stelian pose ses coudes sur ses genoux, les jambes pliées et nerveuses.  

— Je redoutais un peu : nos derniers échanges se terminent si mal qu'à force, l'idée que tu me tires dessus ne me semble pas si délirante.

Il se tourne vers elle et souffle un ricanement bref, finit par prendre la posture de M.Phoenix et recule contre le dossier, croise une jambe et n'a de cesse de la regarder - maintenant, il fallait trouver un mensonge convaincant.

— Puis finalement, je me suis dit que tu ne résisterais pas à mon charme évident, alors tu aurais des remords à me descendre.

Il lève le verre en direction de son hôte, avant de boire une nouvelle gorgée - Stelian ne buvait jamais beaucoup, jamais de grandes gorgées d'un coup, mais aussi de manière trop régulière.

— Deux vérités, un mensonge.

Il a un instant d'arrêt, et pose le verre sur le dessous posé par-dessus le verre.

— Ajoutons une règle : si tu trouves la bonne réponse, tu as le droit de me demander ce que tu veux. Si tu te trompes, tu bois.

Un main sur ses lèvres.

— Marché conclu ?

— Bien sûr que non, je ne triche pas, une promesse est une promesse.

Une lueur amusée venue parer son regard terne, Stelian avait pris appui sur ses doigts, le coude sur le dossier du canapé, à toiser Emma-Serah sans plus de retenue que leur petit jeu en imposait.

Il n’était pas venue dans ce but : celui de la faire céder à ses caprices, la faire supplier l’indicible et fracasser sa stature de glace sous son arrogance ; il ne venait rien exiger d’elle, finalement. Simplement un rappel de la quiétude de leurs moments troubles, si poétiques, d’une splendeur inédite pour l’homme qui se croyait intouchable au sommet de cette ville.

— Tu as raison : je n’hésite jamais.

Elle avait vraisemblablement appris à lire en lui, un tant soit peu de leçon dans la déception qu’il savait ancrée depuis leurs dernières entrevues ; elle ne lui en tenait pas rigueur. Il s’y était préparé pourtant; qu’Emma-Serah soit la seule - et la dernière - à gommer son existence, le jeter de sa vie avec le même ménagement qu’il avait eu à s’imposer dans la sienne.

Et là, devant lui, il avait deviné un sourire maigre sur ses lèvres altesses.

— un point pour toi, Altesse.

Soufflé avec une ironie soudaine, alors qu’il se penche vers elle pour murmurer et l’assener d’un clin d’œil - comme avant - Stelian remplit à nouveau les deux coupes de champagnes et donne le ton léger ; l’appuie finalement, s’il n’était pas compris des deux parties.
Il n’y avait plus d’armes entre eux, l’espace d’une nuit - et tant pis si la nuit ne dure que quelques heures.

— Tu peux me demander ce que tu veux. Je t’ai promis.

Il prit une gorgée plus grande de son champagne, persuadé de devoir s’alcooliser en cas de défaite - la vérité, c’est qu’il n’avait plus l’habitude de ces jeux futiles et étudiants - plus l’insouciance non plus.

— Ensuite ce sera votre tour, My Lady.

et là le premier saut vers l'inconnu - Stelian se tait un instant, celui pour réfléchir, songer aux conséquences aux répercussions d'une réponse ou d'une autre, la relation sur laquelle sa sincérité se baserait et les cris qui suivraient si seulement il pensait à mentir, une nouvelle fois.

la première fois qu'il hésite, finalement, à répondre par l'affirmative, faire preuve de bonne foi bien sûr mais griller une de ses cartes par ailleurs : Emma-Serah la résultante de jours de recherches menées par son informatrice, le joli trophée qu'on souhaitait exposer après une victoire totale absolue, la faire chuter entre ses bras en récompense inespérée - un bien joli divertissement.

Le plus étonnant résidait dans son envie, pure et profonde, de ne pas mentir : si Stelian avait mis les pieds dans la demeure pour se montrer une nouvelle fois, agir en bonne conscience et repartir absout de tout crime à l'égard de la jeune femme, un rien un supplice et le voilà poussé vers l'immonde vérité.

— Non.

Il affiche un sourire, alors qu'il passe un doigt traître sur ses lèvres, décroise les jambes le temps de récupérer une coupe pleine - et retourner à l'initiale, contre le coussin arrière et les jambes étendues et croisées.

— Je te l'ai dit : je ne laisse rien au hasard.

Il prend une gorgée sans s'arrêter de dévisager, essayer de deviner les mimiques sur son visage porcelaine.

— Tu espérais ma visite : mais ça te tuerait de l'avouer.

La vérité toute laide tout juste affichée, il pince le nez quelques secondes pour chercher deux mensonges suffisamment convaincants.

— ce n'était pas toi que je venais voir, au centre Kingshall.

Faisant tourner la coupe à demi-vide entre ses doigts, détaillant chaque bulle qui remontait à la surface, Stelian dont la carapace craquelait à mesure du petit jeu, sentait ses épaules s'affaisser et sa tête se vider simultanément.

Si ça le terrorisait, regarder Emma-Serah calmait ses palpitations : il se savait maître de la situation en toutes circonstances, et elle ne faisait pas exception, malgré ses jolis yeux.

— Et je suis marionnettiste.

Son index caressant son pouce, Stelian ne réfrène pas un souffle rieur - parce que la vérité n'était pas si loin, finalement.
Et il trouvait, dans son mensonge, une image si jolie pour définir sa manière de diriger sa vie et celle des autres.
Qu'il y avait peut-être, une nouvelle fois, deux vérités un mensonge.

— Je serai très curieux de savoir ce que tu as vu de mon avenir. Puisque j'ai gagné mon tour.

La réaction classique
La réaction attendue aurait été celle d'un homme stupéfait, les yeux écarquillés et interdit subitement, figé dans les questionnement qu'une telle vision pouvait faire naître chez les innocents - les esprits qui n'ont rien à se reprocher.

De fuir peut-être aussi, déclarer le tissu de mensonges l'impensable que constituait son rêve - son cauchemar lui l'homme salvateur et bénéfique pour Ellipse sa population son économie
voyez comme il fait profiter autrui de sa fortune et encourage les jeunes prometteurs
comme il dépeint sa ville son royaume avec une fierté insolente et qu'il en récolte les fruits et les drames sans distinction : Stelian toujours au centre de la scène à prendre sur ses épaules entre ses doigts ce qui ne lui appartenait pas vraiment ; toute une histoire de perspective.

Alors au-delà de tout ça, de ces suppositions ces conjonctures irréalistes, il éclate d'un rire clair et léger, fin et à peine audible - mais ses traits si crispés d'habitude se détendent, et c'est tout une majesté qui s'écroule - ou se relève plus grand.

— Et tu me dis tout ça si sereinement ? Voyons Emma plus d'Emma-Serah ce n'est pas le genre de choses qu'on dit d'un visage si passible.

le rire s'étouffe et s'amenuise, alors qu'il traîne son regard ici ou là entre Emma la douce et les moulures au plafond - si joli cadre mais il n'en avait pas rêve autrement.

— Si le jeu continue, c'est peut-être le bouquet de fleurs le moins probable. Ou le genou à terre, qui sait ?

Et un instant, à nouveau, encore, il s'arrête de parler - sonde Emma-Serah d'une oeillade profonde et grave, son index sur sa lèvre supérieure et l'oeil vif.

— Pourquoi tu ne me poses pas les questions qui te démangent, Emma ?

Et il pourrait lui dire, lui déclarer, lui demander - Stelian ne demandait jamais.
L'horrible vérité pourtant, peut-être, un peu, un instant : c'est bien pour tout ça qu'il était venu près d'elle.

— Je ne te parle pas des questions de journaliste.

Et le jeune homme - plus le PDG, a-t-on déjà dit encore moins le parrain à peine novice - pose sa coupe de champagne à moitié vide, réduit de quelques centimètres la distance toujours protocolaire entre eux, mais se penche vers elle - tend sa main aussi, ne saisit pas la sienne : lui offre un choix qu'il s'était toujours gardé jusque là.

— On s'est déjà demandé l'essentiel, je crois.

M. Phoenix, Lady Hottenberg -
ou Stelian et Emma-Serah ?

— Aujourd'hui, je suis venu pour ça.

Et à son contact
Le contact de ses doigts brûlants contre la paume de sa main - glacée, Stelian sent un battement sauter un mouvement, sa peau frémir et sa tête s'embrumer tout doucement ; alors il sourit d'une drôle de manière, en cet instant ; d'un calme absolu et royal, il pince ses lèvres brièvement et c'est d'instinct qu'il s'approche un peu plus.
Le mauvais cliché loin de leur contact à deux.

— Pour la même raison que celle qui t'a poussée à franchir la frontière d'Ellipse, sans doute ?

Ça aurait dû être accusateur, vindicatif, belliqueux, cet échange qu'il avait des dizaines de fois imaginé. Dans les cris, le sang les larmes, mais Stelian, ces derniers jours, en avait trop fait, trop vu - avait trop donné de son coeur et son corps pour se permettre d'en jouer encore. Il ne serre pas sa main, la laisse libre de tout mouvement - tout échappatoire dont elle pouvait rêver, passe son pouce sur le dessus de ses doigts, se conforte dans ce contact étrange et si éphémère qu'un instinct au fond le poussait à en savourer chaque seconde.

— Quelle sera ta réaction, à l'instant où tu découvriras que toutes tes craintes à propos de cette ville, des gangs, de moi étaient fondées ?

Il ferme les yeux un instant.
Stelian ne s'excusera jamais d'être l'homme qu'il a décidé d'être : un meurtrier sans aucun doute, chacun le savait en son for intérieur, le sentait et l'acceptait aussi, un entrepreneur imbu de lui-même arrogant et vaniteux qui s'était fait sans l'aide de personne - Medea excuse-le, à force de coups de putes et trahisons à peine regrettées.

— Je préférerais te laisser le rôle de la splendide étrangère qui se mêle de ce qui ne la regarde pas.  

Pas autrement.
Imaginer, un instant, qu'elle en tienne un autre, plus morbide, plus sordide, plus perfide aussi dans l'égo démesuré qui s'en trouverait dévasté peut-être - Stelian trop abîmé n'était pas certain de vouloir le supporter.

— Ce n'est pas que je n'en ai pas envie. ce temps là est révolu. c'est que je ne suis pas certain d'être prêt à en assumer les conséquences avec toi.

Et là, il serra brièvement ses doigts - un peu trop fort pour un mensonge parfaitement maîtrisé.
Peut-être n'y en avait-il aucun, pour une fois.

— Alors finalement, je vais juste te laisser le choix.

Du rôle que tu veux avec moi.