all too well. ❞ (steliemma) — end #05

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Emma&Stelian

Il n'y avait aucun moyen d'échapper aux regards inquisiteurs et aux messes basses qui sillonnaient son passage. Les rumeurs s'étaient répandues si rapidement qu'elle n'avait pas eu plus d'un week-end pour souffler ; bien que la majeure partie fut gaspillée à l'hôpital pour des examens, et l'autre au poste de police pour témoigner des événements survenus au Grand Observatoire.

Certains racontaient qu'elle était une espionne du MI6 ; d'autres une princesse ayant fui la monarchie pour rejoindre un mystérieux amant outre-atlantique. Sur les écrans mal verrouillés, elle avait tourner son visage, ses robes et ses parures, des estimations de sa fortune, son arbre généalogique et photos de famille.

Tout ce qu'elle avait cherché à fuir dans un diaporama qui tournait en boucle.

Elle savait que ses jours (ses heures) au Reporter étaient comptés. Rien d'officiel n'avait été déclaré, mais sa rédactrice en chef l'avait officieusement convoquée en fin de journée, et rien ne pouvait miraculeusement lui épargner un renvoi. Nni son travail exemplaire, ni les numéros que la révélation de son identité avaient fait vendre.

Il n'y avait rien à plus de faire que partir la tête haute.
Encore une fois.

La rage et la rancoeur qui lui serraient le coeur à l'idée d'abandonner tout ce qu'elle avait entrepris à cause d'une seule erreur qui ne tenait pas d'elle la positionnaient dans un état second; hermétique à la critique et la morale qui la caractérisaient pourtant.

À huit heures quarante-cinq, Emma passa les portiques de sécurité du Reporter ; une légère montée de stress en faisant cliquer son badge. Le voyant vert qui s'alluma pour lui autoriser l'entrée lui fit pousser un soupir de soulagement, avant qu'elle ne s'avance d'un pas pressé vers l'ascenseur. Les claquement insistants de ses talons alerta l'individu déjà présent dans la cage, qui eut la politesse de lui retenir la porte.

Aveuglément, elle se faufila entre les pans de métal et leva les yeux pour remercier son inconnu ; et à la vue des yeux bleus perçants et de l'air suffisant qu'elle connaissait beaucoup trop bien, Emma sentit la colère monter.
Stelian Phoenix. Acclamé et accueilli en héros pour n'avoir rien fait ; ses secrets bien gardés par une cour corrompue jusqu'à l'os et la vérité déformée selon son bon vouloir.

— Monsieur Phoenix. »

Elle ravala ses remerciements et se plaça à distance du PDG, le yeux rivés vers son reflet à travers les rainures de la porte métalisée. Puis après quelques secondes de silence, décida de faire le premier pas.

— C'est Son Altesse Royale la princesse Emma-Serah d'Ashford. Pour répondre à ta question. »

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Emma-Serah & Stelian

seven avenue ••• février 2021

il y avait eu l'horreur et les cris ; le bruit d'une détonation nostalgique et amère qui avait marqué le premier coup à son règne jusque là sans faille ; les sanglots étranglés dans sa gorge fière lorsque le corps étendu de Medea devant lui suffoquait sans pudeur - et il n'y était pour rien.
des heures suivantes, il avait tout occulté : des retrouvailles en demi-teinte avec Cattleya à l'annonce sans appel du décès de son amante, des mots sirupeux de son frère aux accusations sur papier glacé portées à l'encontre des fidèles parmi ses fidèles ; robotique et machinal Stelian avait mené d'une main de maître les jours qui s'étaient écoulé à la suite de la Danse des Azalées.

Sa réputation ne saurait se ternir à cause de ce désastre - un désastre qui n'était pas son oeuvre, et qui s'il l'avait éclaboussé, ne saurait porté aucune fissure au tableau de sa vie - grandiose ! encore et toujours
l'auto-persuasion vivait ses heures de gloire dans un psyché si figé que le sien, alors les portes automatiques qui s'ouvraient sur ses pas alors qu'il pénétrait l'enceinte du Reporter n'était que suite logique à sa majesté.

Le signal de l'ascenseur, les portes sur le point de se refermer et le masque à peine tombé - quelques secondes pour souffler, se toiser soi-même dans un miroir impersonnel et moqueur, retrouver ses pensées les plus noires les plus sombres et se sentir s'étrangler un peu plus : renier la peine le deuil le chagrin de celle qu'on a peut-être ((certainement)) aimé un instant une saison des jours durant
et tout le beau théâtre qui s'annule lorsqu'une voix pressée, cristalline et familière interrompt le cirque infernal de sa vie

par automatisme il bloque les portes de l'ascenseur - et naturellement, Stelian fronce les sourcils et revêt la suffisance qui lui va le mieux
bien plus que les regrets et la tristesse

il ne brise pas le silence qui s'installe confortablement, comme s'il avait été plus légitime que les mots - en dedans, Stelian hurlait sa rancune inédite

— si tu crois que je vais m'incliner, c'est que tu n'as pas encore compris qui j'étais.

et pas un seul regard acier ne se pose sur elle
elle qui portait divinement bien les attributs d'absolue majesté ; il l'aurait faite reine à peine quelques secondes à la regarder - mais Stelian avait échoué, avait failli à sa mission autoproclamée de tout savoir, tout connaître, n'être jamais pris de court et rafler la mise quoi qu'il advienne
alors Stelian n'était que rejet injustifié et mépris
et jamais les étages d'une tour bien plus modeste que la sienne ne lui paraissaient si longs.

— je t'accorde cette interview uniquement par devoir professionnel.

le cliquetis de l'ascenseur annonce le même étage commun : bien obligé il laisse la souveraine passer - ne rien toucher ne rien désirer tout oublier de l'affreuse soirée
celle durant laquelle il s'est à nouveau perdu
à risquer la peine qu'il avait connu en épilogue de cette danse des Azalées

— et tout bien réfléchi, tenons-nous en à l'entretien. Je ne suis pas d'humeur à m'égarer à nouveau.

il prend place naturellement dans la salle qu'il connaissait déjà, pour être passé au préalable par maintes interview du Reporter - l'ascension fulgurante la construction d'un empire ses relations avec l'héritière Van der Bilt

— bien. Commençons.

Le regard posé sur Emma-Serah Hottenberg à ce moment n'avait rien de commun avec les précédents : au contraire, maintenant que les masques étaient tombés - quasiment tous aucune obligation supplémentaire de se cacher
de tromper le monstre qu'il était pour se faire agneau

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Emma&Stelian

La tension qui régnait dans l'habitacle n'avait rien à voir (absoluement rien à voir) avec leurs entrevues passées. Les artifices et les formules charmeuses et les regards lascifs disparues ; comme emportées par un rideau tombé pour dévoiler les horreurs d'un parti comme l'autre. Même le semblant d'affection qu'il aurait pu y avoir (tout ça semblait alors bien dérisoire.)

— Crois-moi j'ai très bien retenu la leçon. »

Une réplique amère, sans risquer ne serait-ce qu'un seul regard, le dos droit et le menton levé. Et quand après une éternité leur destination commune fut enfin atteinte, elle se précipita hors de l'étouffante atmosphère qui s'était installée. Et devant la suffisance qu'il afficha à leur sortie, Emma ne sut retenir un haussement de sourcil.

Mais elle ne releva pas, trop occupée à jeter un regard autour d'elle, consciente qu'elle était en train de commettre son ultime fraude, pour laquelle elle aurait été renvoyée si elle n'était pas déjà au bord du gouffre. Elle le suivit docilement, prenant garde à bien fermer la porte derrière eux (les rideaux intérieur déjà tirés la veille).

Emma le laissa s'installer sur le fauteuil, autour d'une table basse sur laquelle avait déjà été installée des rafraîchissements et des viennoiseries, et prit place face à lui.
La tension n'était toujours pas retombée, et son dos surtendu lui faisait la promesse de ne pas l'épargner.

— Vous êtes l'un des premiers à vous être relevé après l'explosion. Si on en croit les tabloïds, du moins. »

Nerveusement, elle commença a faire tourner son stylo entre ses doigts. Encore aujourd'hui, elle pouvait sentir de légers acouphènes dans ses oreilles ; souvenir amer d'un cauchemar qui la hanterait probablement toute sa vie. Et les coupures superficielle qui marquaient sa peau ; elle qui n'avait jamais été touchée de la sorte (avec une telle violence qu'elle en tremblait encore).

À chaque battement de paupière, c'était comme regarder la mort droit dans les yeux. L'odeur du sang et de la poudre ; les tâches brunes et visqueuses qui tapissaient le sol. Elle l'avait vu dans une vision ; mais la réalité l'avait rendue bien trop vivide.

Et elle la hantait à chaque minute, chaque seconde pendant laquelle elle gardait le silence.

— Comment avez-vous su quoi faire, monsieur Phoenix ? »

Il fallut un contrôle titanesque pour ne pas trembler.

Et quand la voix de Stelian résonna dans la pièce large, elle n'entendit plus rien.
Plus rien que des bribes de conversation ; que l'horreur avait fait remonter à la surface après qu'elle ait essayé de les noyer.

Que se passera-t-il, quand l'histoire prendra un tournant inattendu, et qui ne te plaira probablement pas ?

Tout ce qu'il fallut fut une respiration.

Une seule, pour que son coeur ne sache retenir la question qui la démangeait depuis qu'elle avait retrouvé la force de chercher des réponses.

— Savais-tu que Medea Van der Bilt allait mourir ce soir-là ? »

Elle la vit, la douleur déchirante.
Un flash d'une fraction de seconde, avant d'ouvrir les portes de l'enfer.

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seven avenue ••• février 2021

l'un des premiers à vous être relevé
Stelian lève les yeux au ciel - comment peut-elle croit qu'il en ait été autrement ; quand bien même la douleur aurait tordu le fond de ses entrailles, quand bien même ses cinq sens auraient été perdus quand bien même son coeur aurait été meurtri au creux du réel
quand bien même
Stelian se relevait sans cesse en premier, les rares occasions où on le voyait chuter

s'effondrant après s'il le fallait, pleurait silencieusement peut-être selon les légendes les plus tordues et délirantes, regrettait même les actes les paroles pour les plus audacieux d'entre eux
mais jamais ne demeure à terre

alors il s'agace, s'impatiente, frotte ses doigts les uns contre les autres lorsque son corps entier reste immobile et ses yeux sévères braqués sur celle - l'impudente qui avait osé se jouer de lui
lui mentir le faire tomber dans ses filets d'une bien jolie manière à l'appeler sans crier
revenir entre ses bras entre ses lèvres
presque regretter son absence
et le mettre à nouveau au pied d'un mur contre lequel il s'était fracassé sans se l'avouer, soixante-douze heures plus tôt

— il aurait fallu que je reste à terre ? je n'étais pas aussi touché que le reste, je n'ai fait que mon devoir.

sa voix posée n'est teintée d'aucune arrogance, aucune émotion moqueuse pour trahir son attitude suffisante et supérieure - au contraire Stelian demeure froid et concis, pas un seul mot de trop - et aucun de moins de toute évidence.
jusqu'à ce que sa rage se réveille : à la seule question, la seule mention qu'il ne fallait pas faire en sa présence
tant qu'il n'assumait ni sa peine, ni son affection - son mal indéfinissable et le souvenir du corps de Medea étendu en seule sépulture.

— je te demande pardon ?

ses mains s'arrêtent, dans un geste visiblement interrompu de colère sourde et contenue
elle ose
encore
et l'offense sans un soupçon de regret dans la voix

— je ne savais pas qu'elle était présente, tu étais là et ça, tu l'as vu, entendu comme moi.

Stelian reste figé dans une posture étonnante, maîtrisée mais fragile
les lèvres entrouvertes, encore stupéfaites de l'audace avec laquelle Emma-Serah vient troubler sa pudeur, son intimité, à évoquer un sujet qu'il ne voulait pas aborder.

— comment pouvais-je savoir ce qui allait se produire, à ton avis ? je ne vois pas l'avenir, au risque de te surprendre.

parce que les mots ne passent pas entre ses lèvres
que l'indicible restera tel quel
il passe une main sur sa mâchoire et calme ses ardeurs, prend les secondes nécessaires pour dissiper sa frustration palpable dans le ton de sa voix, et repose ses bras sur les accoudoirs du fauteuil confortable, effleure la surface lisse du tissu hors de prix d'un doigt distrait.

— me soupçonner de saboter une soirée en mon honneur, vraiment ?Comment oses-tu te permettre une telle chose ?

autrefois, il aurait souri - narquois
autrefois, il aurait volé jusqu'à réduire la distance entre eux, taquiner la bienséance et se délecter des rougeurs timides à la naissance de ses joues - le rire au coin de ses lèvres délicieuses
aujourd'hui il n'y a que le dégoût dont elle n'était pas la source
elle ne serait plus rien - si ce n'est une journaliste et lui l'invité comme elle l'avait suggéré un temps
un temps révolu où ils étaient quasi-inconnus
un temps durant lequel jamais il ne l'avait regardé avant tant d'indifférence
elle qui avait osé le duper

— question suivante, votre altesse.

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Emma-Serah avait rarement eu peur de faire mal.
Au contraire, elle en avait fait sa spécialité et jamais elle n'avait éprouvé le moindre remord, le moindre regret à avoir touché un sujet sensible.

Cette fois aurait dû être une exception.
Elle l'aurait été, sincèrement, si seulement il ne lui avait pas fait l'affront d'en faire une affaire personnelle.

Si tout ça (la formule nébuleuse, celle qui caractérisait les événements dans lesquels elle avait été sauvagement entraînée) n'avait pas été dès le début, une affaire personnelle hors de contrôle.

— Comment moi, j'ose… ? »

Elle avait les épaules douloureuses tant la colère lui tendait les muscles ; les jointures blanchies, à enserrer le stylo sur lequel elle s'accrochait comme à une bouée.

Emma-Serah aurait dû présenter ses excuses et passer à autre chose.

Mais sa vie entière aurait pris un tournant bien différent si elle s’en était tenue à ce qu’elle aurait dû faire.

— Je t’interdis de me traiter avec autant de condescendance. » le ton est ferme. Tes mensonges et tes manipulations m’ont donné toutes les raisons d’avoir des doutes. »

Même le baiser échangé dans un écart fiévreux avait laissé un goût amer sur ses lèvres.

Elle n’avait pas à se justifier.
Pas quand il avait tout à se reprocher.

Tout ? (non, pas tout)
Lui ne voyait pas l’avenir (elle, si)

Elle se pencha depuis son siège ; gardant la distance qu’ils semblaient avoir tacitement instaurée.
Eux qui avaient tant joué avec les limites semblaient avoir atteint la leur.

— Pour qui te prends-tu, pour te permettre de déverser ta colère sur moi ? Je ne suis pas responsable de ce qu’il t’arrive. »

Emma avait été honnête (elle)
sa vérité, immaculée, quand lui avait tissé mensonge sur mensonge pour l’amadouer

Vraiment, votre altesse royale ?

Emma s’arrêta dans son accès de colère.
Elle qui était prête à lui sauter à la gorge à la moindre occasion.
La réalisation, soudain, de son erreur (monumentale)

— Personne n’était censé savoir au sujet de mon identité. Cela n’avait rien de personnel alors je te prie de me laisser en dehors de tout ça. »

Après tout ils étaient tous les deux des dommages collatéraux, dans cette histoire-là.

Elle baissa les yeux vers le carnet de notes qui reposait sur ses genoux
Retint un haussement de sourcils à la lecture de la question suivante.

— Comment vous sentez-vous, monsieur Phœnix ? »

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seven avenue ••• février 2021

Comment moi, j'ose ?

— Oui, tu n'es pas sourde, il me semble.

elle ose, encore.
il l'aurait assassinée maintenant s'il en avait eu l'occasion - les moyens n'étaient plus une question depuis des années : chaque fois que ses yeux se perdent sur les traits de son visage de poupée furieuse
ses mots censeurs
ses mains déliées des siennes
son être mauvais malin cruel
il la déteste et lui fait savoir, pour une raison injuste et méprisable, absolument égocentrique et tout à fait gratuite
et puisqu'il se connait par coeur, qu'il se sait coutumier de ce genre d'attaque - un mode de défense ridicule et tout à fait déraisonné - il ne lui laisse pas une seconde de répit pour souffler
respire

— et toi, pour qui te prends-tu ? À poser ce type de questions indécentes, qui n'ont absolument pas lieu d'être dans ton interview ?

sa voix tranche implacable et son propre regard ne dévie plus de sa cible initiale
il s'était juré, en mettant un pied au Reporter, de ne jamais retomber dans un piège refermé sur lui
lui qui s'était cru maître du jeu, hors d'atteinte du haut de sa tour Diamantine - seigneur Dragon comme il l'avait si souvent entendu
lui qui avait senti, des jours en arrière, son coeur s'emballer pour un simple baiser
et le même coeur se meurtrir à la vue du sang de son aimée - tout ça que du faux

— par ailleurs, mes mensonges et mes manipulations, tu ne crois pas que tu en fais un peu trop ? Après la soirée, tu as découvert mon vrai prénom. Toi, tu es devenue une potentielle espionne.

pour la première fois depuis le début de leur rencontre - de leurs retrouvailles incendiaires explosives
il se dénoue et pèse le pour et le contre de ses mains abîmées et impatientes

— celui qui devrait être le plus en colère, c'est moi, à ma connaissance

il se ravise - croise à nouveau ses jambes et s'enfonce dans le siège comme l'habitué des lieux mondains qu'il était
Stelian joint ses mains l'une dans l'autre, pose ses coudes sur ls deux côtés du siège - et se fait plus sévère que l'homme enjoué et amoureux, aux paroles enjouées doucereuses
qu'elle avait connu jusque là

— personne ne te connaît ici, je te le confirme. Par contre, moi, tout le monde sait qui je suis. Et si tu n'as pas eu la prudence de te renseigner, j'en suis désolé pour toi.

il aurait pu sourire
il aurait dû sourire
pernicieux insolent tout puissant, puisque Stelian était empereur depuis des années, du lycée - de l'Académie jusqu'au monarque incontesté de cette ville
quelque chose de divin, quasi inhumain
pourtant c'est à sa condition d'être mortel, de simple homme parmi les Hommes, qu'il a été ramené samedi
à la danse des Azalées

— je gère cette tragédie comme tout le monde. Comme je peux. Mais je dois vous concéder le fait de vivre difficilement l'idée que des hommes et des femmes aient perdu la vie parce qu'ils ont été conviés à une soirée organisée en mon honneur.

alors il pince ses lèvres du bout des doigts
dévoile un peu de l'humanité qu'il avait rejetée pendant tant d'année
et qui existait encore, derrière le voile de fureur et les attitudes
suffisantes

— mais je crois sincèrement que justice sera faite.

Il s'en assurera personnellement
Stelian secoue brièvement la tête - invite Emma-Serah à poursuivre ses questions
sans plus le torturer sur leur passé
si court si facile à effacer - il oubliera sans aucun doute
sans aucune difficulté
elle, et tout ce qui va avec

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Emma&Stelian

Ils auraient pu continuer encore longtemps
à danser sur des charbons ardents
et à se les jeter à la figure dès que l'occasion se présentait à eux

Mais elle prenait conscience peu à peu, que son audace l’avait rendue présomptueuse.

Était-ce sa place de porter de telles accusations ? Sur quoi s'appuyait-elle ?
Un courrier anonyme, les dires d'une défunte ?

Elle observa le businessman en silence, le sang qui bouillonnait encore dans ses veines pendant qu’il lui crachait son venin sans ménagements.
Comme si c’était elle qu’il haïssait de tout son être.
Elle garda la tête froide mais se demanda, l'espace d'une seconde, si elle ne possédait pas l'immoralité suffisante pour frapper un homme déjà à terre.

— Par qui sera-t-elle faite ? Par votre système judiciaire corrompu ? Vos forces de l'ordre impuissantes ? »

Le ton avait alors baissé, teinté d'une ironie (une suffisance, qu’elle lui avait dérobée à lui) qu’Emma-Serah ne chercha pas à dissimuler au cœur de l'incendie qu'elle avait déclenché.

Et, sans quitter des yeux l'illustre invité (le héros, le martyr, le vilain de l'histoire, le tout à la fois)
réalisa qu'elle pouvait continuer à remuer le couteau dans la plaie si elle le voulait
il ne lui donnerait plus rien ; puiserait dans ce qu'il lui restait de force pour la détester
si cela pouvait la faire taire.

De toute évidence il n’était pas (il n’était plus) le salvateur dont on avait chanté les louanges.
Il n’était rien de plus qu’un homme.
Pas un héros ni un martyr ni un vilain.
Juste un homme meurtri par le deuil et le sentiment d’impuissance.
Emma ferma son carnet.

— Par toi, Stelian ? »

Juste un murmure, cette fois.
Et franchit alors ses lèvres le prénom qu’elle s’était refusée de prononcer
(de peur de trahir les regrets qu’elle nourrissait au fond de son être)
la formule trop intime, comme enveloppée dans un doux écrin qui appartenait au passé
(d'une curiosité presque candide)
de peur de le rendre humain, lui cet homme qu’elle avait tourmenté pour la simple envie puérile de le voir souffrir

Emma laissa le silence parler pour elle.
Ouvrit ses yeux momentanément clos et trouva alors le regard dans lequel elle se perdit, à chercher les réponses qu’il ne formulerait jamais.

— Aussi indécentes que soient ces questions, quelqu'un aurait fini par te les poser. »

Si elle y avait pensé
elle, dans toute son ignorance
Si elle y avait pensé
alors tout le monde l'avait fait

— Tout le monde te connaît ici ; tout le monde sauf moi. »

Et pas les insultes pas les vérités qui faisaient mal allaient y changer quelque chose.
Elle toute seule
elle toute seule elle ne pouvait rien face à lui
lui qui les avait tous derrière lui.

— C’est l'occasion de t'exprimer avec sincérité sans avoir peur de ternir ta précieuse image. »

Après ça, on disparaîtra.
Une fois l’entretien clôturé plus rien ne les retiendrait ; pourrait tout emporter avec elle.
Ni les rêves ni les fantasmes qui avaient pu les lier.
Même les cauchemars de la danse des azalées finiraient par être remplacés.
Tout ça pouvait encore appartenir au passé.
Puisqu’ils n’avaient jamais rien été ; promis à devenir une hallucination collective vouée à s’estomper.

— Les Van der Bilt n’ont pas eu droit à leur justice. Qu’est ce qui te fait penser que cette fois est différente ? »

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Emma-Serah & Stelian

seven avenue ••• février 2021

si seulement
si seulement il pouvait se permettre un accès de vulnérabilité - dans l'intimité du bureau fracasser sa précieuse image ramasser les débris et quitter la scène sans une égratignure
dans l'intimité du bureau laisser mourir Medea pour de bon gommer son fantôme qui rase les murs de son propre appartement massacrer les souvenirs les bons comme les mauvais et aller de l'avant à nouveau
dans l'intimité du bureau confesser les crimes les plus ignobles soulager ses épaules devenues douloureuses à force de porter les cadavres et éponger le sang de ses victimes pour blanchir à nouveau ses mains ses doigts fins
retrouver une stature comme il en avait rêvé autrefois - tout bambin qu'il était à rêver d'être parmi les grands sur l'écran de télé - si seulement

— ne me fais pas rire.

alors le maigre sourire qui s'affiche sur sa mine fatiguée
seule trahison de sa constance alors que ses doigts tremblent peut-être : à bien y regarder
mais son poing se serre et il rajuste sa veste marine essuie une poussière imaginaire à la commissure de ses lèvres - et balaie la moindre chance d'absolution
dans l'intimité de ce bureau impersonnel et froid

— tu penses que ça me fera du bien de m'épancher et chouiner ? Sincèrement ? Oh, mais je suis sûr que tu vendras ça à prix d'or, aux magazines à scandales. Peut-être même que les grands quotidien s'y intéresseront, avec un peu de chance.

chaque seconde entre eux qui s'écoule, et Stelian la méprise un peu plus
pour les courbes ses hanches dont il se souvient encore lorsqu'il les avait effleuré de ses propres doigts, le parfum volatile entre ses mèches rousses, la couleur rosée de son visage après leur baiser - et l'audace avec laquelle elle ne semblait pas se rappeler
de ce qui avait failli compter, si tout ça s'était déroulé autrement
alors il ne reste plus que le mépris

— quelqu'un devait me les poser : mais certainement pas toi.

Stelian s'enfonce dans le siège, dans un semblant de confort qui n'avait jamais été aussi feint depuis leurs retrouvailles : il n'aimait pas leur échange, définitivement - il ne la voulait pas comme ça, alors prenait un raccourcit et partait du principe qu'il ne la voulait plus dans l'absolu.
et empile les mensonges les uns sur les autres : plus injustes encore les uns après les autres

— ce sera différent parce que je ne laisserai pas ça irrésolu. C'est ça que tu voulais entendre ?

et il se redresse, avance le haut de son corps un instant, prenant appui sur ses genoux.

— c'est ça que tu cherches, Emma-Serah ? De la sincérité ?

même moi je ne sais pas formuler
tout ce que mon coeur saigne

— je ne te dirai rien de plus, pas tant que tu seras Emma-Serah Hottenberg, la journaliste.

et à la porte le son qui frappe
le son salvateur
mais leurs regards qui ne décrochent pas l'un de l'autre.

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Emma&Stelian

Même lorsque le poids du monde semblait s'abattre sur les épaules
que le chagrin l'accablait et que dans ses yeux brillaient la colère d'avoir été acculé
Stelian se parait de la suffisance et l'arrogance qui lui étaient attribuées dès leur première interaction.
Et peut-être était-ce la seule réponse honnête qu'il ne lui avait jamais cédée ;
la constante que jamais il n'avait essayé de dissimuler sous les artifices que tous ici avaient avalés.

— Ce n'est pas à toi de le décider de qui va te les poser, ça ne fonctionne pas comme ça. »

Emma entendit son stylo craquer entre ses doigts animés (encore) par la colère
les insultes pleuvaient et elle s'efforçait
de toutes les forces qui lui restait
de ne pas le laisser l'atteindre ; lui qui était un tel menteur
un maître dans l'art de transformer ses mensonges en des vérités si vraies qu'elles venaient frapper où elles feraient le plus mal.

— Pourquoi m'as-tu accordé cet entretien, si tu refuses de répondre à mes questions ? Pour le plaisir de venir m'insulter en personne ? »

Pourquoi Ô Stelian tout-puissant
ne leur avait-il pas épargnés débats houleux et conversations stériles
Et pourquoi Emma ne pouvait-elle s'empêcher de penser qu'il avait
attendu ce moment pour déverser sur elle colères injustes et injustifiées

— Tu sais très bien que c'est ce que je recherche. Et les vipères qui cognaient à la porte ne la firent même pas ciller. Mais rassure-toi j'ai compris que tu étais incapable de me la procurer. »

Les assauts répétés contre la porte eurent raison d'elle, laissant entrer un groupe d'éditeurs et journalistes réunis pour l'exécution du siècle.
Mais la tension était bien trop palpable pour que leur scénario cassé ne soit exécuté ;
et les cris et les remontrances bien préparées à l'avance restèrent sur le pas de la porte lorsqu'Emma enfin se leva.

— Ne te donne plus la peine, de toute façon je n'ai pas besoin d'en savoir plus. Comme je te l'ai dit, j'ai bien compris. »

(compris que tu as mal que ceci sera notre dernier échange
que dans cet univers qui s'écroulait là
il n'y avait pas de toi et moi)

Et comme si les désirs de Stelian étaient des ordres, la déferlante s'abattit sur elle.

Qu'est ce que tu fais ici Emma ?

Veuillez accepter nos plus plates excuses monsieur Phoenix

Si tu avais été à ton bureau tu aurais su que tu n'es plus la bienvenue dans ces locaux notre collaboration est terminée-

Nous n'étions pas au courant
Nous avons fait au plus vite
On vous le jure monsieur-

On voulait faire ça discrètement tu vois ce que tu nous oblige à faire ?

Réinstallez-vous s'il vous plaît, nous pouvons reprendre où vous le voulez

Tes cartons sont déjà dans le couloir donne nous ton badge et rend nous ta carte on te prie (arrête ce scandale ici on t'en supplie)

C'était de la honte d'abord mais c'était la colère (surtout la colère) qui l'avait fait sortir de la pièce. Et elle ne s'était jamais sentie aussi monarque que ce jour où elle avait été décapitée sur la place publique
à la vue de ses pairs qui ne feraient rien d'autre qu'observer
tandis qu'elle emmenait avec elle les secrets qu'elle ne voulait plus partager.

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