La sueur écarlate, l’épiderme bleui, les ecchymoses indolores face à l’échec bien plus blessant, les pas étaient lourds, englués par la douleur. Elle ne s’y attendait pas. Plus par ego que réalisme. Bien sûr qu’elle avait fini blessée, bien sûr qu’elle aurait pu mourir. Comme bien d’autres fois. Oh, comme l’ego souffrait de l’échec pourtant, il y avait un fin sourire, fou, satisfait sur les lèvres rouges de sang. Il n’y avait eu ni vainqueur ni perdant et l’idiot face à elle avait été un adversaire agréable à combattre, un bon défouloir pour cette rage au creux du ventre.

Elle traînait sa carcasse dans les lieux immaculés, le trench ensanglanté, la chevelure teintée de rouge, la tête basse, elle qui avait toujours la droiture d’une statue. Et Lagertha dans sa détresse avait réussi à finir dans un fauteuil, à attendre l’arrivée d’un médecin qui n’arrivait pas. Elle détestait ces lieux. C’était bien par manque de solution d’urgence qu’elle s’était jetée ici mais la simple vision des lumières aveuglantes avait serré son coeur. C’était dans un lieu semblable qu’elle avait commis le matricide. C’était dans un lieu semblable qu’elle avait fini de faire disparaître la vie des Amadeus. Un soupir, une main qui n’est plus gantée, couverte de cicatrices passa sur le front transpirant l’anxiété. Elle n’avait qu’une envie : rentrer chez elle et se glisser sous les draps après avoir descendu une bonne bouteille.

Angoisse tant d’angoisse quand elle était dénudée de ses gants, les ongles plantés dans les accoudoirs et la veste posée au dossier, la tête jetée en arrière avec tant de tension, la vue troublée par la fatigue. Qu’on la soigne, vite, qu’on ait pitié, un peu de pitié pour l’âme abîmée. Et aussi vite, Lagertha disparaîtra.

Le sang qui pulsait dans les tempes, Lagertha voyait des points danser sous ses paupières. Trop de fatigue quand bien même le sang sur la peau n’était pas que sien. Il y avait cette angoisse dans la gorge quand les mains cherchaient le confort des gants sans pouvoir l’avoir. Les mains étaient trop éreintées, trop rougies par les combats. Jetant un regard sur les nouvelles cicatrices sur la peau abîmée par les lavages intempestifs, la tête tournait quand elle luttait contre la douleur terrible au crâne, redressée quand elle avait entendu son nom. La voix était si familière et quand la vision se fit plus claire, Lagertha reconnut Liam, grogna en hochant la tête douloureusement.

– Liam, c’est ça ..?

Point de réponse aux questions, Lagertha agit en se relevant, la silhouette pitoyable oscillant dangereusement jusqu’à ce qu’on l’épaule à son grand malheur. Grognement, la tête pulsait trop pour résister au contact pourtant.

Assise sur la table d'auscultation, Lagertha soupira, écoutant l’infirmier la réprimander sans qu’elle ne dise un mot pour s’opposer. Le regard fatigué avait fini par se poser sur lui, calme dans la tempête de ses réprimandes.

– Je me suis contentée du plus proche. Et je ne me vide pas de mon sang, c’est surtout l’accumulation des plaies qui donne cette impression.

Lagertha disait ces mots comme si son front ne saignait pas, comme si de toute manière, ce qui devait arriver, arriverait. Le regard noir dans celui de l’infirmier, Lagertha était toujours aussi taciturne, toujours aussi imperméable quand elle aurait dû être agitée, inquiète. Lagertha se trahissait toujours dans son calme. Point de civile ici et le sourire qui s’étira doucement sur ses lèvres aux mots de Liam lui confirmait qu’il savait. Sifflant du nez, elle laissa la tête choir en arrière.

– Commencez à vous en occuper. C’est toujours mieux de laisser les civils en dehors de ça. Surtout qu’il y a peu à dire.

Ego secoué par l’échec, la cheffe de milice était pourtant avec ce sourire un peu fou au visage quand elle pensait au délice de ce combat, l’adrénaline qui courrait dans ses veines quand elle avait dû affronter quelqu’un aussi fort, peut-être plus qu’elle. Avait-elle été imprudente ? Lagertha ne le saurait pas et se contenta d’observer Liam, silencieuse statue bien trop tendue.

Sur le flanc, la panthère s’animait à chaque respiration. Une trace que Lagertha n’avait pas cherché à cacher du regard de l’infirmier quand elle avait retiré le haut abîmé afin d’être soignée. Il se noyait dans les dessins encrés mais pourtant, il était là, impossible à rater. Preuve d’une voie sanglante parmi les œuvres d’arts qui la couvraient, parfois éreintées par les cicatrices encore fraîches. Des cicatrices qui n’étaient que les souvenirs des jours qui passaient. Un quotidien de violence.

Liam, si doux, pansait les plaies et Lagertha restait de marbre, ne bougeait que par sa respiration plus sifflante qu’habituellement quand le désinfectant brûlait la chair. Le front se plissait à peine, comme si la douleur ne lui faisait plus rien – peut-être était-ce le cas. Le regard sombre observait le visage presque devenu familier de Liam avec une curiosité discrète, les lèvres toujours pincées, comme un chien prêt à montrer les dents en toute situation.
Mais Lagertha n’avait aucune raison de mordre cette main bienveillante, il n’y avait que le visage qui était resté dans ce familier masque de féralité. Par habitude, les traits s’étaient fait à l’expression désagréable quand elle se faisait pourtant calme, renifla simplement de désagrément face aux réprimandes.

– Je ne suis pas morte alors tout va bien. Sourire fin quand le regard se posait dans le sien. Si c’était si grave, je ne me serais pas  traînée jusqu’ici.

Les mots avaient été grognés, désagréablement froids malgré elle. Silence à nouveau, Lagertha observait les traits de l’infirmier, l’agitation de ses gestes sur ses blessures, la clarté de la pièce, si réconfortante, si angoissante – de son besoin de propreté ou de l’horreur des souvenirs, qui gagnaient ici ? Elle avait un calme qui ne pouvait qu’être propre à ceux qui avaient trop saigné pour avoir l’oeil humide à cause de simples lacérations. A la place, Lagertha vit la curiosité quand les yeux se posaient sur les mains.

Les mains qui se refermèrent sur elles-même, pudeur de cette preuve de faiblesse en plein jour. Elle ne justifia rien, se contenta de plonger ses yeux sombres dans ceux de Liam, si vides quand les lèvres restaient closes. Lagertha restait la boîte de Pandore, mystérieuse, et ses secrets : imprenables quand l’histoire se dessinait pourtant sur l’épiderme.

Que voyais-tu ? Voyais-tu les années de massacre, Liam ?

Le rictus toujours au visage, l’air grave dans les pupilles pourtant quand elles se posèrent sur l’infirmier.

– Oh vous savez, je m’en préoccuperai quand je serai dans une tombe. Une sincérité camouflée dans un léger humour.

Lagertha le laissait faire sagement, immobile quand il apaisait la douleur. Les paupières s’étaient clos tandis qu’elle savourait ce calme, les plaies qui arrêtaient de faire mal et les mains de Liam fraîches sur sa peau, apaisantes.
Et s’il appela à l’attente quand il eut terminé, Lagertha n’écouta pas. Le visage à nouveau plus serein, elle avait remis le veston ensanglanté, avait pris son éternel trench alors que les yeux se posaient sur Liam.

– Je n’ai pas besoin de plus, j’ai quelqu’un pour vérifier tout ça maintenant que vous avez fait le plus gros du travail. Je suis sûre que tout ira bien. Les gants retrouvaient leur place, le cuir grinçant quand une paume se posa maladroitement sur l’épaule de Liam. .. Merci pour votre temps. Vous pouvez passer au bar quand vous voudrez, je vous dois un verre.

A l’orée de la porte, ils se faisaient face et Lagertha semblait bien avoir retrouvé sa fougue. Un rictus à nouveau, plus maladroit quand il se voulait amical. Ce soir, Lagertha rentrait une nouvelle fois à la maison mais elle ne pourrait jamais promettre à Liam de ne pas finir encore une fois entre ses mains. Alors elle eut un simple geste de la main, coinça une cigarette entre ses lèvres en marchant vers la sortie. Qu’il vienne le lendemain ou dans un mois, Lagertha n’oublierait pas sa dette.