Un soupir qui s'échappe tandis qu'elle observe, terriblement ennuyée, les deux hommes face à elle.

— Non. Cet hôtel n'est pas à vendre, mon entreprise encore moins.
Combien de fois tenteraient-ils ?

Ils ne sont pas les premiers, mais certainement les plus insistants. Même cet idiot de Cloud Windsor sait lui laisser du répit. Alors les doigts entrelacés doucement posés sur le bureau se crispent légèrement d'impatience, avant que le son du téléphone ne résonne dans la pièce.

Décroche rapidement -raccroche tout aussi vite, un sourire satisfait aux lèvres.
Faites la monter, avait-elle dit.
Un regard pour ses invités.

— Messieurs, nous en avons terminé.

Se lève ensuite et les incite à en faire de même -implacabilité dans ses iris, ils ne demandent pas leur reste.

— Nous reviendrons.
— Cela m'étonnerait fort, mais vous pouvez toujours tenter.

Son partenaire, presque devant l'ascenseur se tourna aussitôt, méfiant.

— Est-ce une menace, miss Jenkins ?
Peut-être bien.

Les portes de l'ascenseur s'ouvrent alors, et sans qu'elle ne t'accorde encore un regard, Rose termine d'accompagner ces messieurs jusque la cabine.

— Un conseil seulement. Ai-je réellement besoin de menaces pour vous mettre dehors ?

Un coup de pied au cul suffira.
Elle les presse d'ailleurs jusque dans la cabine avant d'appuyer elle-même sur le bouton pour les faire descendre.

— Bon vent, messieurs.

Se retourne ensuite vers toi, un grand sourire aux lèvres -c'est que tu es pile à l'heure Emma.
(et il faut bien sauver les apparences)

— Miss Hottenberg, bienvenue ! Pardonnez-moi ce léger contretemps. Rose Jenkins, enchantée. C'est un plaisir de vous recevoir.

T'invite en même temps à la suivre dans un salon annexe, spacieux et élégamment décorée.

— J'espère que vous avez fait bon voyage.

Te désigne d'une main un fauteuil où t'installer tandis qu'elle s'approche du minibar.

— Vous buvez quelque chose ?

Reviens vers toi après ça, dépose les boissons puis son téléphone sur la table basse en verre avant de s'asseoir à son tour dans le fauteuil en face du tien.

Des hommes qui ne comprennent pas le refus, elle en a connu beaucoup tu sais. Les pires d'entre eux l'avaient violée tandis que les autres se contentaient d'insister jour après jour, abusant de sa patience en tentant de l'effriter pour mieux la faire craquer; mais après avoir connu la main des monstres brûlant sa chair, ceux qui restaient lui paraissaient bien idiots. Le jour où elle perdra patience elle ne vendra pas, elle les tuera, simplement. Les jours sont comptés.

Un sourire vient peindre ses lèvres tandis qu'elle verse doucement le thé que tu as demandé dans une jolie tasse dorée. L'eau déjà chaude, préparée plus tôt par ses employés pour ne pas vous faire attendre, ni elle ni toi, il n'y a plus qu'à laisser infuser.

— La plupart du temps ils préfèrent inonder mes emails et ma boîte aux lettres, entre autre coups bas, lâche-t-elle avant un rire léger.

Dépose la théière puis s'abaisse pour sortir du mini frigo accolé au bar une carafe de limonade fraîche et artisanale pour s'en servir une verre, l'une des meilleures de la ville certainement.

— Mais certains se pensent plus importants que les autres et n'hésitent pas à forcer. Je leur accorde un rendez-vous par semaine, histoire de voir l'évolution de leur demande.

Range la carafe tranquillement avant d'apporter tasse et verre jusqu'à toi.

— Hélas ces idiots ne comprennent jamais un non, et je commence à m'ennuyer de leur forçage qui manque cruellement d'inventivité. Ils n'ont même pas le mérite de faire passer le temps correctement.

Les boissons posées sur la table, la sienne près de son téléphone, Rose t'adresse un sourire tandis qu'elle s'assoit en face de toi. Les jambes croisées, élégante et fière elle te fait un léger signe de la main pour t'inviter poliment à débuter l'interview.

Les premiers mots elle les écoute à peine, se penchant doucement pour récupérer son verre avant de se redresser. Vos regards qui se croisent alors, un sourire à nouveau. Si elle pense être influente, tu dis ?

— Bien sûr ! Vous ne seriez pas ici autrement, n'est-ce pas ? Je suis l'héritière d'une grande famille, à la tête d'une des marque les plus populaires de la ville. Même si les petits journaux s'arrachent mon nom, je sais qu'il en faut beaucoup plus au Reporter pour attirer son attention.

Mais même sans ta présence, tu sais. Rose se sait plus forte et pleine de confiance, travailleuse toujours. C'est pour ça, qu'elle influence.
Elle boit une gorgée de limonade avant de continuer.

— J'ai conscience que c'est à vous de poser les questions mais, qu'en pensez-vous, Emma-Serah ?
L'est-elle assez pour toi ?

Ne t'appellera plus par ton nom mais t'autorise silencieusement à l'appeler elle par son prénom.

Un sourire puis une gorgée de limonade encore tandis qu'elle t'écoute avec, cette fois, toute son attention. D'autres personnalités tu dis ? Elle se demande, elle qui est si confiante, si ces autres noms en valent vraiment le coup. Pourquoi serais-tu assise face à elle s'ils étaient si importants ? Alors, à ta question elle repose le verre sur la table, puis se renfonce confortablement dans le canapé, les mains sur ses genoux et le dos toujours si droit. Un sourire, presque un rire qui s'échappe -elle est de bonne humeur, tu vois.

— Disons que je suis bien entourée ? C'est impossible de réussir une telle entreprise en restant seul dans son coin. Il faut de bonnes relations, des fondements solides et j'ai su acquérir tout ça.

Aussi fière soit-elle, elle a bien conscience de n'être elle-même qu'un pion sur l'échelle de sa propre réussite. Si haut dans le ciel pourtant que c'en est vertigineux, mais Rose Jenkins n'a pas le vertige, elle ne baisse même plus les yeux. Pour être au sommet il faut savoir sacrifier sans regret. Soi comme les autres, à chaque seconde.

— Vous ne vous trompez pas, une demi-esquisse. Les fondements étaient bons et la marque s'est toujours très bien vendue bien sûr, seulement les temps changent, vous le savez. Les mœurs et les demandes évoluent, les petites boutiques se démènent pour survivre et tout le monde doit être prêt à changer, pour qu'un jour peut-être Le Reporter s'intéresse à eux, par exemple ?

Esquisse complice, elle a les iris rieurs Rose Jenkins.

— Les grands noms, eux, doivent simplement faire en sorte de garder leur place. Ça demande beaucoup de temps, d'investissement et de créativité pour apporter satisfaction à une population sans cesse en mouvement. Alors, j'ai revu les bases pour apporter à la marque un petit coup de jeune.

Elle a sacrifié des dizaines de personnes, d'employés et de familles pour s'entourer des plus performants. Puis elle a changé le nom, elle a précisé la population ciblée, maîtrisé ses coûts de production et de publicité. Elle s'est affichée sur tous les écrans pour tous les faire rêver. R&R, Reine & Roi.

— Le concept n'a pas totalement changé, mes équipes et moi l'avons simplement paré de ses plus beaux atours en prenant grand soin de l'adapter aux besoins de la clientèle.

Car le but de R&R finalement, c'est d'exister.
Pour faire rêver mais aussi pour camoufler les travers qui sévissent dans l'ombre.

— Je vous adresserai une liste à la fin de notre entretien, si cela vous intéresse vraiment.

Et le ton est taquin, ponctué d'une esquisse amusée. Presque un clin d'œil tandis qu'elle t'observe prendre des notes tout en prenant une nouvelle gorgée de sa boisson. C'est assez surprenant cette façon que tu as de ne jamais regarder tes notes. On pourrait croire que tu écris n'importe quoi et pourtant, Rose a l'intime conviction qu'il n'y a pas une seule erreur ni même une rature -c'est que dans ton regard, derrière les sourires polis, elle y voit un monstre de passion. Tu lui ressembles beaucoup, tu sais ?

— Les amis, la famille, les partenaires commerciaux... Au final c'est un peu la même chose vous savez. Nous ne sommes qu'une masse gravitant autour du même objectif qu'est R&R. Enfin, léger revers de main, elle poufferait presque -ne cesse de sourire néanmoins. Ça, c'est la réponse que tout le monde aime entendre -et elle n'est pas si fausse, seulement..

Un léger silence, le temps pour elle de poser son verre sur la table basse entre vous. Sans tout à fait se redresser, les doigts encore sur le récipient, elle lève son regard pour le poser sur toi.

— Vous êtes nouvelle ici, n'est-ce pas ?

Il y a des questions que les journalistes ne posent jamais ici, en général. Car la plupart des courageux finiraient soit par prendre peur soit par trop parler -et à la fin ce n'est jamais bon.

— Autrement, vous sauriez que ma famille est bien plus importante que ce qu'il paraît.

L'esquisse semble encore amusée quand elle appuie un instant son regard dans le tien avant de finalement se réinstaller confortablement dans le canapé.

— Enfin, effectivement j'ai beaucoup de soutien et d'investisseurs -des amis proches et d'autres moins, mon réseau est plutôt large et je n'en suis pas peu fière.

C'est qu'à elle seule, Rose est parvenue a rallier une bonne partie des plus gros bonnets de tout Ellipse -c'est qu'elle n'a eu besoin pour ça ni du réseau de ses parents ni de l'aide des Dragons. Alors, forcément, lorsque tu parles de sacrifices elle ne peut s'empêcher de se demander ce qui aurait été différent si elle n'avait pas fait tout ça.

— Eh bien, je suis visiblement toujours célibataire et très occupée, lâche-t-elle dans un petit rire. Et... J'ai dû faire de cet hôtel ma maison et mon bureau pour être certaine de dormir dans un lit douillet le soir. Quoique, ça n'arrive quand même pas si souvent. C'est bien dommage, le confort ici est absolument irréprochable !

Elle ne t'avouera pas que malgré les nombreux passages dans son lit, elle se sent parfois un peu seule, Rose. Elle se contentera de plaisanter sur ces vérités.

Elle est seule, oui.
Terriblement.

Tu demandes s'il n'y a aucuns regrets, et la réponse ne tarde pas à venir. Des regrets il n'y en a aucun parce que c'est un chemin qu'elle a entreprit d'elle-même. Poussée par sa famille bien sûr ! Mais qu'étaient-ce des ordres lorsque le coeur avait lui profondément envie de faire tout ça. Les sacrifices ne pesaient pas si lourds face au succès et à la renommée. L'amour lui n'aura de place que s'il vient à l'accepter elle toute entière -de son sourire scintillant aux pires de ses tourments.

— Aucun.

Sûrement encore un mensonge dont elle se persuade de la véracité. Elle avait toujours été très douée à ce jeu-là -Rose est dure mais Rose a bon coeur alors... Elle fait taire d'un coup sec les sentiments trop confus. T'adresse à la place de trop penser un sourire fier lorsque tu mentionnes un possible séjour, mais te laisse continuer tranquillement car ce n'est pas ce qui l'intéresse présentement.

Il y a un rire amusé qui s'échappe de sa gorge avant qu'une esquisse entre sourire et grimace ne se dessine à ses lèvres.

— Vous n'imaginez pas le chaos que serait ma vie si ça n'était pas le cas. Bien sûr, il a fallu m'adapter, mais avec un peu d'organisation et de rigueur tout est possible finalement.

Elle profite du fait que tu observes la pièce pour se lever et retourner se servir un verre de limonade dans le frigo du bar sur le côté. Un léger coup d'œil dans ta direction lui confirme sans mal que le luxe ne semble pas du tout te surprendre -c'est presque comme si tu en avais l'habitude, mais est-ce si étonnant pour une journaliste du Reporter ?

Tranquillement elle revient s'installer face à toi, les jambes légèrement en biais pour lui permettre de se pencher et poser son verre sur la table après en avoir prit une gorgée.

— Je ne me vois pas arrêter. Ma vie et mon travail sont au centre de tout actuellement, ils sont ce qui me constitue au plus profond et je ne peux me résoudre à arrêter. C'est viscéral, en quelques sortes.

Elle en mourrait si on devait lui enlever tout ça.

— Et vous Emma, est-ce votre cas ? Je suis curieuse.

Êtes-vous si semblables, dis.

C'est une question toujours un peu délicate, le choix de carrière des grandes dames. Dans leur monde tel qu'il est, il n'y a jamais deux choix possibles avant l'arrivée au sommet. Elles qui montent si haut en ont probablement toujours eu conscience. Il faut tout laisser tomber mais cela n'empêche pas de rêver à l'après.
Un sourire vient de nouveau dessiner ses lèvres, c'est compliqué d'être nous parfois, pas vrai ?

— Je ne doute pas que vous y parviendrez.

Dans quelques années lorsqu'enfin tous sauront qui tu es, tu auras l'influence pour forcer le second choix et personne n'aura jamais rien à y redire, parce que tu seras Emma-Serah. Tu seras quelqu'un, peu importe qui -tout comme elle. Vous ne semblez pas si différentes finalement.

Alors, le carnet ainsi posé sur la table, tu demandes et ce ne sont rien de plus que des centaines d'étoiles que tu peux voir briller dans ses yeux. Voilà un domaine qui lui sied bien plus que de répondre à quelques questions sur un canapé.

— Je ne comptais pas vous laisser repartir sans n'avoir rien vu ne vous en faites pas. un petit rire tandis qu'elle se relève, te laisse en faire de même afin de récupérer tes affaires tranquillement. Allons-y.

Et tu ne la verras sans doute jamais d'aussi bonne humeur que lorsqu'elle te guide jusque l'ascenseur pour descendre un étage en-dessous. L'hôtel est immense, et il est bon de savoir que les deux derniers étages sont entièrement réservés à son personnel, ou en partie à elle seule puisqu'il s'y trouve également ses appartements privés.

L'endroit sur lequel les portes de l'ascenseur s'ouvrent est immense et orienté plein soleil pour y laisser entrer la lumière par deux murs entièrement fait de baies vitrées. Tout y est clair du sol au parquet brun crème jusqu'au plafond pour illuminer au maximum la pièce mais étrangement rien ne semble triste, car partout sur les établis et les bouts de murs visibles trônent, entre les machines à coudres, les patrons et les croquis, des tissus de milles couleurs. L'endroit fourmille de monde, ils sont au moins une petite vingtaine chaque jours à y travailler. À gauche se situe un dressing dernier cri que l'on aperçoit à travers une large porte vitrée à l'encadrement noire. Un peu plus loin un second encadrement sans porte donne l'accès à une réserve de tissu hors norme tandis que sur votre droite, tout près de l'entrée, se trouve une haute bibliothèque remplie de livres en tout genre, entre design, architecture et thriller sanglant soigneusement triés. Tout au fond, la baie offre deux accès en terrasse, l'une couverte et l'autre non. Un lieu moderne et tout confort afin de développer la créativité de chacune de ses équipes.

Tandis qu'elle fait un pas sur le côté pour t'inciter à découvrir de toi-même les lieux, Rose ne peut s'empêcher de sourire tandis qu'elle marche juste à côté.

— J'imagine que vous ne vous attendiez pas à ça, pas vrai ? Pour le confort de mes équipes et le secret de nos projets je n'amène que très peu d'invités pour visiter.

Seulement tu es Emma-Serah du Reporter, et tu es vouée, si elle en suit son instinct, à devenir une grande amie alors. Qu'en penses-tu, Emma ?

— Avant que vous ne posiez la question, c'est une initiative personnelle d'avoir choisi de tout refaire. J'ai toujours pensé qu'il fallait allier confort et bonne humeur pour travailler sainement et être plus productif. Ce qui explique en partie, j'imagine, que les ventes de R&R n'ont jamais été aussi hautes que ces dernières années.

Parce que Rose Jenkins a décidé de ne laisser aucune chance à ses adversaires.
Aucune.