Débonnaire • Vain • Chaleureux • Arriviste • Pliant • Romantique • Ambitieux • Désireux • Excessif • Amoureux • D’apparence sympathique • Complaisant • Dévot • Vacant •  Avenant • Mièvre • Parfois saturnien mais se force à un optimisme inébranlable • Obsessionnel

Apprend-t-on un sourire comme une chanson douce ?
Il faut croire, Inigo, que tu l’as bien appris.
Par cœur.
Et de cœur tu n’en as que trop peu (ou bien trop ? Tant et si bien qu’il déborde à grands flots)
Il ne reste rien que ce refrain entêtant.

Inigo la main doucereuse couverte de fiel, elle poisse tout les dermes que tu ose troubler (D’UNE POIGNÉE DE MAIN VIVE BIEN VIVE COMME PAPA T’A APPRIS CAR LES HOMMES SECOUENT AVEC VIGUEUR LES PALUCHES DES GENS DE POUVOIR AUX MAINS GLACÉES, C’EST CE QUE FONT LES HOMMES, LES VRAIS)
Ta main Inigo, ta main : toute petite araignée rose et chétive dans celle des grands aux doigts fatigués.

Inigo, nigaud empoté qui a encore sur les joues les traces de l’enfance, en deux rondeurs de chair mouchetées de taches, et deux douceur qu’on aimerait pincer.
Angelot débonnaire aux mains chaudes, Inigo fait tout pour plaire, pour vous être indispensable : Il aime parfaire ses sourires saccharose et autres mièvreries qui lui pendent aux lèvres.

ALORS SI PERSONNE NE T’AIME ASSURE TOI DE LES GARDER À TES PIEDS, SI TU ES SI AFFREUX, ALORS, SI TU N’ES PAS DIGNE D’AMOUR, TOURNES TES AFFECTIONS VACANTES EN ARMES ET EN FUSILS. CARESSE LES MAINS QUI TE FRAPPENT
FAIS LES TREMBLER D’EFFROI ET DE MANQUE
CREUSE DES TROUS DANS LEURS TÊTES QUI, PARCOURUES DE VENT, SIFFLENT TON NOM
INIGO

Car le monde n’aime pas les jolies choses, les petites choses
les joues rondes et les grands yeux éplorés (les chérubins moqueurs qui se lovent nus dans les coins des tableaux)
Car elleux n’aiment pas tes amours molles et surannées. Tes petites mains roses et tièdes.
Et toi pourtant tu les aimes, tu les aimes à en crever.
Tu aimes les filles et leurs lèvres serpentines qui te nomment de milles noms (nigaud, nigaud, nigaud). Et les insultes (vilaines perlèches dans leurs bouches d’enfants) sonnent à tes oreilles comme des termes charmants. Tu n’as que faire des noms d’oiseaux, petit moineau affamé tu te jetterais sur les miettes, lécherais le sol à leurs pieds : Tu les aimes tant, si seulement elles pouvaient t’aimer.
Tu aimes les mains sales des garçons de la cour de récré et leurs doigts perlés de rubis quand battent les coups comme la pluie.
Les chemises froissées aux devants : tu les aimes tant. La tête te tourne
(CAR PAPA AVAIT TOUJOURS DIT QU’UN HOMME GARDE LE DOS DROIT, QU’UN HOMME GARDE LES POINGS SERRÉS, ET LE MENTON LEVÉ LE VISAGE FIER QU’UN HOMME C’EST COMME ÇA, QUE C’EST BEAU COMME ÇA)
Alors tu avais bien compris qu’il y avait d’un côté les hommes,
et puis toi.
Et que tu ferais tout pour leur plaire.

Inigo aimait les kakis, et les oranges sanguines qui sont fraîches sur la langue. Humides dans le soleil de l’Estrémadure. Le matin papa partait avant le soleil et le soir rentrait après lui, pour aller bouger les cageots dans les grandes serres qui s’étendent à perte de vue. (Te rappelles-tu Inigo des ces vastes étendues de serres ? Tu imaginais des baleines échouées sur la grève, des grands cachalots.)
Puis le goût des kaki a perdu tout son sucre. Puis plus de kaki du tout, puisque Papa ne partait plus. Les figues contre sa langue se sont gâtées : Papa n’a plus de travail. Il ne reste qu’une mer de plastique et des pelures d’oranges qui sèchent sous le soleil estrémègne.

C’est à Ellipse que Papa retrouve du travail dans son ancienne entreprise agroalimentaire. C’est qu’il faut là-bas des gens vaillant pour aller décharger les cargaisons, de kaki, de figues ou d’oranges. C’est qu’il faut là-bas de gens sans rien, qui n’ont plus rien. Car là-bas il y a tout. Mais à un prix qu’on connaît déjà (celui de la servitude volontaire et de l’enfermement)

La ville est si grande, si belle. Plus belles encore que les mers de plastique où l’on fait pousser les fruits. Inigo ne se souvient plus très bien de l’arrivée, du dôme, des sas, lui n’avait que 12 ans. Il se souvient des coups à l’école et des graviers de la cour dans la bouche, de  mots méchants qu'il comprenait bien mal. On aime pas trop les étrangers à Ellipse. Moins encore ceux, chétifs, qui n’ont pas encore leur pouvoir éveillé.

Papa est parti, non pas pour bouger les cageots de fruits. Papa amoureux d’une fille plus jeune, a fui. C’est une belle histoire, un amour passionné pour une amante qui l’entraine loin. Inigo aime imaginer que c’est ce qui s’est passé, il aime romancer cette idylle tragique dans laquelle papa est parti, sans un mot. Sans un bruit. C’est beau, c’est si beau qu’Inigo a beaucoup pleuré. C’était une histoire si touchante qu’il n’a pu que sourire devant les posters affichés dans tout le quartier. Papa est parti; papa disparu est devenu le reflet plat d’une vieille photo. Papa n’a plus de nom et devient quelques périphrases anonymes :
“Avez vous vu cet homme ?”, “Disparition inquiétante”, “appel à témoins”, “Disparu”
beaucoup de mots pour dire que papa t’a laissé, tu ne penses pas ? Oh toi, toi non tu ne penses plus : tu es trop occupé à pleurer une histoire trop belle que de toute pièce tu as inventée.
Papa t'a laissé pour une chose plus belle. Papa a disparu.
(Et puis avec le temps papa se fait oublier, son visage se fige dans une affichette mal imprimée)
Maman aussi avait pleuré. Mais Inigo continuait de trouver ça beau. Et maman s’enfonce dans son chagrin. Qu’as tu fais inigo ? Tu lui a pris la main.
(tu as le bout des doigts en seringue et ton coeur vide les autres sans rien laisser)
Il faut garder maman près de toi, après tout, il ne faudrait pas qu’elle aussi te quitte pour des affections plus douces que les tiennes (pas comme papa). Alors même si tous les jours tu loves ta main dans la sienne, tu voiles ton égoïsme. Maman est malade mais malade de toi. Si tu venais à partir elle ne le supporterai pas (car tu es le plus doux des opiacés, fils affreux et mal aimé.)