Le silence remplaça soudainement la musique, alors qu’Arès éteignait les enceintes et l’ordinateur. Le moment de fermer le salon lui donnait toujours un sentiment bizarre, un vide soudain, qui se remplissait à nouveau quand il allumait sa tv ou la chaine hifi chez lui. Il avait prévu d’arroser ses plantes chéries et, comme les jours précédents, se laisser tomber dans son canapé après une douche pour passer la soirée comme un sac devant la fin d’un documentaire sur les bélugas (peut-être que ces documentaires lui donnait l’impression d’être un peu moins ignorant).
Milan avait fini peu avant lui, ce qui laissait habituellement à Arès la liberté de ranger sans la confusion qu’il lui inspirait. Devait-il faire la conversation ? L’ignorer ? Lui proposer un verre (surtout pas) ? Heureusement ces interrogations avaient fini par se calmer au fil des jours, s’en réduisant à un simple murmure couvert par le besoin de passer à autre chose. C’était bizarre. C’était fini. Point.
Peut-être que le petit bourgeon dans son lys oriental qu’il avait remarqué récemment avait écl-
La surprise le coupa dans son train de pensée. C’est qu’il parle l’animal.

“J’ai pas la place d’avoir une chambre d’amis.” Est-ce que Milo avait perdu son toit ? “Mais j’ai un canapé, si tu veux.”

Ou une deuxième place dans mon lit. Pensée fugace qu’il chassa bien vite, parce que franchement c’était quoi ces conneries. Le lien se fit avec l’agitation qu’il avait ignorée de son mieux du côté de Milan ces dernières minutes.

“T’as paumé tes clés ?”

Son ton était un peu moqueur, c’est vrai, mais entre eux ce n’est pas lui qui avait perdu ses clés. Il éteignit les lumières et poussa doucement Milan de la porte pour la fermer derrière lui.

“Viens, j’habite juste au-dessus."

Ses plans de bélugas s’envolaient, mais il était bien incapable de dire non dans ce genre de situations. Alors il guida Milan sur le côté de la boutique où se dressait un escalier en métal, jusqu’à sa porte d’entrée. C’était peu de trajet le matin, au moins. Une porte qu’il ouvrit d’ailleurs sur un salon propre mais désordonné. Une légère odeur de weed mêlée à celle des fleurs flottait dans la pièce, et le vieux parquet grinça aux premiers pas posés après la porte.

“Bienvenue chez moi, j’suppose.”

La plupart de ses meubles étaient récupérés et assemblés dans un patchwork chaleureux, et Arès se demanda soudain s’il aurait dû mettre autant d’efforts à décorer son appart que le tattoo shop. En fait, il ne savait surtout plus trop quoi dire ou faire, un peu awkward. Milan n'était jamais venu ici, pas même le fameux soir. Il se sentait un peu mis à nu.

Le temps de se retrouver lui aussi en chaussettes, Milan a déjà eu le temps de peindre un sourire sur son visage. C’est pas sa faute, il a un truc Milan, un truc qui le fait sourire ok ? Même s’il est diablement énervant.

“Fais gaffe je peux quand même te priver de dessert.”

Pas sûr que la menace soit efficace quand on voyait à qui il avait à faire, mais ce n’était pas vraiment un soucis. Et puis au fond Milan avait raison sur un point, il était incapable de laisser quelqu’un dehors. Trop gentil ? Pas sûr, simplement il se rappelait souvent de ce que c’était que se retrouver sur un banc dehors, et même si son collègue n’était pas dans une situation si catastrophique, autant ouvrir sa porte.

“J’ai juste… J’ai une maison et un canapé, pourquoi ne pas en profiter. C’est tout.”

Par habitude, il alluma la chaîne laissant son vieux CD de Bring me the Horizon tourner.

“Je dois arroser les plantes. Fais comme chez toi, je sais pas, change la musique si elle te saoule tu la subis déjà toute la journée.”

Il se sentait un peu perdu mais Milan était grand il devrait savoir comment se débrouiller 5 minutes non…? Il récupéra son petit arrosoir et son pulvérisateur pour faire le tour de la pièce.

“Dis… Il est vraiment si grand que ça le lit de Bowie ?”

Question innocente, Arès était sincèrement curieux de comment quelqu’un pouvait avoir un lit si grand. Mais, était-ce une pointe de jalousie quelque part, cachée sous la curiosité ?
Surtout pas, il en était hors de question. Leur soirée à la piscine avait été digérée, point. Il ouvrit une fenêtre sur son passage, l’air extérieur faisant bouger les feuilles d’une des plantes qui avaient composé le bouquet qu’il avait offert à Milan. Sous couvert d’un “client” bien sûr.
Et oh joie, le bourgeon de son lys avait effectivement éclos en une jolie fleur !
Arès se para d’un large sourire, et s’extasia de la même manière dont on parle à un animal, probablement couvert par la musique.

“Oooh, good job ! what a pretty flower, what a good girl !”

Il remplit la petite coupole d’eau sous la plante, et posa enfin son bazare pour se tourner vers Milan de bonne humeur (prêt à gérer ses taquineries et son sourire).