Cattleya sa douce Cattleya ses conseils avisés sa voix enchanteresse son corps divin - Stelian ne saurait la remercier suffisamment pour sa présence, son support inestimable et en ces heures sombres il se sent tout-puissant au dernier étage de la Tour Diamantine.

Installer le Quartier Général des Dragons semblait tout autant stupide qu'ingénieux - il exerçait son plein pouvoir sur un monde en lambeaux, admirait la vue des ruines derrière les grandes baies vitrées caractéristiques du bâtiment, les cris les hurlements rien ne l'atteignaient pour souiller sa victoire.

Stelian prit le temps de rédiger un SMS pour sa tendre alliée - succinct, concis, il n'attendait aucun retour à son Merci. Ça traduisait tout et un peu de rien, il ne put s'empêcher de sourire alors que l'écran affichait la bonne distribution du message - il n'avait pas besoin de mots, il en était avare mais avec elle, il céderait une partie de son territoire pour s'assurer de sa fidélité.

— Pourquoi sommes-nous ici ?

La voix caverneuse derrière lui brisa tout mutisme dans la vaste pièce où il avait élu domicile pour diriger le gang - le clan - et il en prit outrage. Il se retourna légèrement, pas totalement, se laissa quelques minutes supplémentaires pour checker ses autres messages et une fois le smartphone rangé dans sa poche intérieure, il tourna son attention entière sur la famille Jenkins face à lui, et quelques hommes de main.

Stelian chassa toute émotion visible sur son visage, et s'approcha du patriarche Jenkins sans rompre le moindre contact.

— et pourquoi pas, Jenkins ?

La légère différence de taille entre les deux hommes fut rapidement estompé par l'austérité dont Stelian fit preuve - il n'avait pas de temps à perdre, et s'assurer de l'allégeance des membres les plus influentes du gang - celles qui subsistaient toujours après la tuerie - était rapidement devenu une priorité.

Il se retourna pour s'appuyer contre son bureau, et croisa les bras en alternant son regard sur chaque membre de sa famille : il s'arrêta sur Rose, avant de reprendre l'échange initié par le chef de famille.

— c'est ici, le nouveau quartier général. Il m'a semblé urgent de trouver un lieu convenable, après la terrible tragédie que nous venons de subir.

Ses bras croisés, ses traits détendus, ses seuls doigts crispés agrippés à la manche de sa veste.

— étant de fidèles membres des Dragons, il est normal pour vous d'être conviés les premiers pour visiter les lieux.

Stelian s'adresse cette fois à la jeune femme - l'aînée, et la seule restante de cette génération. Il s'occuperait des autres éléments dans un second temps.

— qu'en penses-tu, Rose ? Tu as toujours eu bon goût, j'aimerai ton avis, s'il te plaît.

sous le calme apparent, la fureur grondait doucement.

— avec plaisir, mais tu les donneras à Cattleya, elle y est plus sensible que moi.

chantante et mélodieuse, la voix de Rose qui résonnait aux oreilles de Stelian ne l'enchantait en rien - malgré les mots doux
un maigre sourire disparut bien vite sur le visage du nouveau Roi Dragon, et lui qui avait posé ses yeux sur l'aînée des Jenkins se retourna promptement.

Par ses demandes - ses conseils avisés il s'emparait du monde vaste et hétérogène qu'était celui du gang ; il ne dormait que trop peu la nuit, monopolisé à établir échafauder une stratégie viable sur le long terme pour asseoir sa place au sommet - tout autant de tactiques pour dégager les plus vils de ses membres.

— de nombreux changements seront opérés d'ici les prochains jours.  

théâtral, voilà que la pièce démarrait et que Stelian enchaînait les gestes, les postures dramatiques, sporadiques pour ne pas en faire trop, mais toujours larges et durables pour marquer son effet - il termina le verre de bourbon entamé laissé sur le bord de son bureau, et alluma une cigarette en s'appuyant sur le côté du meuble - la surface en verre, froide, lui apporta un sentiment de plénitude familier.

— Les conséquences des attentats se ressentiront sûrement pendant quelques mois dans la ville. Mais nous ne pouvons pas nous permettre de perdre plus de temps.

La fumée entama l'air respirable entre eux, et lorsqu'il retira la cigarette entre ses lèvres, il poursuivait l'échange visuel - le contact fauve et menaçant entamé avec le patriarche Jenkins dès son entrée - sa convocation dans la pièce.

— les Panthers, tout comme les Corbeaux, n'attendent que de pouvoir s'attaquer à nous. Une image fragilisée, un manque de cohésion, tout ça : nous n'en avons pas besoin.

Il ne mentionna à aucun moment les Cobras, bien trop opaques à ses yeux pour y porter un quelconque intérêt - s'il se méfiait, il considérait inutile le fait d'en discuter avec d'autres membres - des traîtres, par dessus tout.

— si vous êtes ici, c'est pour que je puisse m'assurer de votre fidélité.

Il balaya chacun des membres de la famille des yeux - et cette fois, appuya chacun d'entre eux.

— pour éviter les trahisons. Je suis sûr que vous comprenez.

Le pourquoi - pourquoi faire confiance revient à prendre un risque
que Stelian ne prendra pas - par manque de temps, d'envie aussi.

Et il était inutile de préciser qui tirerait les ficelles, à partir de maintenant - trois jours, exactement.

Tu es beaucoup trop arrogant, Stelian Phoenix.

et c'est l'étonnement qui vint peindre son visage taillé - ses bras croisé, la main droite toujours porteuse de la cigarette fumante, la cendre manqua de tomber sur le tapis berbère qui habillait le sol froid de la pièce.

Pourtant, son corps ne trembla d'aucun frisson, son égo ne souffrait d'aucun affront : Stelian Phoenix était arrogant - cruel on l'a déjà dit, condescendant et orgueilleux sans commune mesure; déterminé et obsessionnel pour couronner la pile ; du déjà vu.
Mais par-dessus tout, Stelian avait conscience de ce qu'il était - alors il étira son rictus habituel - signature.

— trois jours pour quoi ? 

le son des talons de ses chaussures acheva le silence entre eux.
Il écrasa le mégot dans le cendrier de verre, le sien d'abord. Se mit précisément en face de la mère de Rose - rieur charmeur.

— Je dois être un peu stupide aussi, je ne saisis pas bien les sous-entendus.

il garda les mains dans les poches de son pantalon de costume, levait le regard - il n'était que trop fier de ses exploits, et savait la remise en question doublée d'une amertume tout autre : celle des perdants.

Stelian entendit un de ses hommes de main s'agiter derrière lui, prêt à dégainer les armes à feu en surnombre dans la pièce et dans la veste de chacun - mais d'un mouvement de tête en sa direction, le leader des Dragons le somma d'avorter toute tentative de violence ; qui ne serait pas la sienne.

— votre fils est un traître. C'est factuel.

Stelian avait, en soufflant chaque syllabe, basculer entre l'un et l'autre des parents Jenkins - excluait complètement leur fille, qui ne portait aucun fardeau de ce type à ses yeux.

— j'attends de vous une fidélité tout autre : celle que vous m'offrirez, à moi.

Il ne fit pas un pas de plus - était à portée des coups mais suffisamment hissé dans sa mégalomanie pour ne sentir aucun frisson le gagner.

— et tu te trompes, Jenkins.

là il glissa d'un pas mesuré vers le père de famille - qui redescendant aussitôt dans son estime
les femmes Jenkins, elles, avaient le courage de leurs opinions.

— c'est moi, qui ne vous doit rien.

Il fit un signe à l'un de ses miliciens, qui sans plus attendre, arracha le mégot encore fumant des doigts de Lady Jenkins et alla l'écraser dans le cendrier - à son tour.

et Stelian, sans bouger plus, inclina la tête pour apprécier le spectacle - et d'une voix basse.

— quelle impolitesse.

C'est une menace.

et Stelian s'habilla d'un ricanement, cette fois - ne put s'empêcher de répondre à la volée.

— évidemment. 

il n'en était pas autrement : leur monde, le leur, celui des gangs et des vices, de la corruption et de la violence, n'était pas viable autrement que par les menaces et leur exécution, successivement - ils étaient si risibles, à croire que des années de fidélité valaient la peine d'oublier les tourments des tragédies.

— j'exige en tant que boss des Dragons, pas autrement. 

il rectifia corrigea l'insulte - qui cette fois en prit les allures - ça se lisait sur son visage crispé agacé à cet instant alors qu'il frotta son pouce à son majeur d'un tic nerveux - jaugea le patriarche du coin de l'oeil et c'était sa patience qui était trop entamée.

— bien, je dois vous avouer que les pleurnicheries et le marchandage ont tendance à m'agacer assez rapidement.

Stelian se retourna, et un claquement de doigt sonore de sa part fendit l'air.
Alors deux de ses hommes de main en costume s'avancèrent vers la famille Jenkins - et Stelian les arrêta au moment de saisir Rose, qu'il prit la décision de laisser libre de tout mouvement. Libre de réagir, à ses deux parents que le Roi - il n'en était pas autrement, étranger ou pas - fit agenouiller sans le moindre ménagement.

— je n'ai aucun intérêt à discuter avec des sous-fifres dénués de bon sens, en terme de survie notamment.

Sur son bureau il attrapa le revolver calibre neuf qui avait toute sa place, et frotta la crosse souffrante de traces imaginaires - et le pointa, dès qu'il arriva à bonne hauteur, en direction du patriarche Jenkins d'abord.

— si je ne peux pas m'assurer de votre fidélité envers les Dragons, alors vous ne m'êtes d'aucune utilité.

Il enclencha le chien du revolver, et n'affichait plus qu'une expression froide, exempt de toute sensibilité humaine - un joli requiem.

— mais je suis sûr que vous comprendrez la raison : on veut éviter une nouvelle tragédie.

Un rire sans hilarité, bref et soufflé - avant de se perdre rapidement.

— un nouveau deuil.

sa main ne tremblait pas, son regard ne vacillait pas, son dos était bien droit et le doigt sur la détente ne frissonnait pas : sa détermination entière, mortuaire, implacable chevillée à son corps divin, Stelian attendait, patiemment.

la scène s’était reproduite tant de fois dans sa vie - elle n’en était pas une habitude, pourtant, dès la première fois, le Dragon à peine baptisé avait pris goût au sang ; jamais des innocents.
Sans cesse sans répit coupables de fautes plus profondes, sur ses épaules à lui le fardeau de faire justice - venger sa mère d’abord, innocente victime des puissants, leur désir exécrable d’assouvir les petits, de déposséder ceux qui n’ont rien - horreur!- et jouir de voir le monde terni à leurs pieds.

Stelian ne tremblait pas.
Stelian ne tremblait plus depuis ce jour là.

— ce ne sont pas des erreurs, Jenkins. 

sa voix ne voguait plus de l’ironie habituelle, dépeinte entre ses murs et laissée là, derrière, à l’ombre de son règne tant convoité enfant et adoré, si précieux à l’âge adulte. Il n’était que l’homme froid, inerte d’émotions - le revolver maintenu à distance parfaite du père de famille - le joli titre pour des mains bien sales
il rendrait justice : la sienne exclusivement, en messie total et absolu de sa propre confession.

aucun mot pendant quelques secondes et s’il ne se détourna pas du père, Stelian était davantage porté sur les faits et gestes de la mère - effrontée, honteuse de ses opinions maintenant qu’elle était - asservie plus rien face à sa majesté - grandiose !

et Stelian tira : mît à exécution les menaces - un principe religieux ; qu’aucune contestation ne vienne corrompre sa royauté, qu’aucune menace n’ombre sa prestance et sa gloire, qu’aucun ennemi ne s’oppose à sa route.

alors le corps inerte et sanglant de madame Jenkins s’effondra, quelques secondes après le bruit sourd du coup de feu : ça faisait presque partie du paysage, dans ce monde dépravé.

Stelian ne tremblait pas.
Sa voix ferme trancha, et là le couperet assassin porté à l’insolent, le malin, l’inconscient - monsieur Jenkins, toujours vivant.

— ça s’appelle le pouvoir. 

le pouvoir brut, le pouvoir réel et absolu, réaliste réalisable et ancrée dans un vrai laid et putride ; le pouvoir entre ses mains que chacun subirait si seulement il osait se mettre en travers de sa route sinueuse et meurtrière ; le pouvoir des mots et les mettre en application ; le pouvoir des Rois sur les petites gens.
Le pouvoir à l’état le plus pur.

Stelian ne tremblait pas, lorsqu’il essuya les gouttelettes du sang chaud venues entacher son arme personnelle : l’un des hommes en noir à ses côtés pour lui apporter le tissu qui servirait à nettoyer - et alors le même reprit l’arme des mains du leader.

Plus un seul regard, il n’existait plus rien à ses yeux en ces instants précis : si son âme balançait un tant soit peu, ce serait l’écroulement assuré. Alors une fois l’arme hors de ses mains, Stelian dépassa les survivants et lorsqu’on lui donna son propre manteau, l’enfila sans aucune seconde de patience pour les pauvres Jenkins - en deuil.
Et cette fois, ils sauraient pourquoi.

— vous avez 24h pour prêter allégeance. 

Il ne se retourna pas, pas de quelques centimètres, un absolu rien de tendresse ou de regrets, un néant d’émotions futiles et factices pour compatir à leur douleur - ce serait le pire.
Et lorsque le son de la porte qui se refermait claqua, rien n’avait changé des expressions de son visage dessiné.
Stelian ne tremblait pas.