Les passions éreintées au petit matin, le silence s’était fait dans une armistice épuisée. Entre les draps, les femmes s’étaient fait immobiles, dans les bras l’une de l’autre jusqu’à ce que la dragonne disparaisse.
Le sommeil n’était pas assez lourd, jamais assez, pour que Lagertha ne remarque pas la froideur au creux de ses bras. Où était Echo ? Où était ce doux parfum, sa chaleur ? Il n’en avait pas fallu plus pour la réveiller. Mais Lagertha avait gardé les yeux clos. Elle avait écouté les pas légers, les mains furetant dans un appartement qui ne révélait rien.

Lagertha n’était ni dupe, ni stupide. Elle savait très bien qu’hors des draps, c’était l’ennemie qui parcourait son domaine. L’ennemie aux griffes acérées, l’ennemie terrible, une qui n’était ni la première ni la dernière ennemie à finir dans les draps. Là était la seule paix, celle du désir qui effaçait un instant les guerres. Et puis, Lagertha n’était pas de ceux qui se dévoilaient. Tout était si pâle dans cet appartement, si propre. Rien pour la trahir.

Il y eut le froissement du tissu, le poids qui se faisait sentir à nouveau sur le matelas. Alors Lagertha avait gardé les yeux clos, glissa un bras à la taille pour attirer Echo contre elle. Dernier instant de douceur quand les pupilles se refusaient à la lumière. Les lèvres frôlaient le cou lorsqu’elle s’enivrait de ce parfum, celui qui avait envahi ses draps.

– Bonjour.

Un baiser apposé sur la peau, il était si simple d’aimer, offrir un dernier geste avant de relâcher l’amante non sans un regard sur elle. Elle était si belle. Lagertha s’étira, se munit des gants sur le chevet avant tout autre geste – cachons les failles – dans le silence quand elle se levait pour mieux venir se glisser dans un peignoir satiné, couvrant les traces d’une nuit d’amour, violente.

Il ne lui fallut qu’un nouveau regard vers Echo pour sentir le souffle tressauter. Une regard pour qu’elle ne lui envoie un autre peignoir à la figure.

– Mets ça, tu vas salir mes habits d’extérieur.

Quand elle sentait simplement l’âme défaillir à cette vision d’Echo, blottie dans une chemise qu’elle aurait pu porter la veille. Oh, ce parfum qui allait la suivre, partout.

Menteuse.

Quelle menteuse elle faisait quand elle était en réalité tant enivrée. Maladresse sociale, elle ne disait rien, disparaissait sans un mot hors de la chambre, les cheveux emmêlés d’amour, la tête perdue dans la douceur de sa peau encore quand le café coulait. Deux tasses. C’était Absinthe ou Jules qui avaient l’habitude d’avoir ces tasses. Pourquoi Echo avait-elle droit à ce traitement de faveur quand Lagertha ne savait même pas si elle aimait le café ?
Le regard se perdit au plafond, soupir – que faisait-elle ? – avant qu’elle ne se dégourdisse l’esprit d’une gorgée caféinée, ne revienne sur ses pas pour plonger le regard sombre dans le sien.

– Tu as du café sur le comptoir si tu veux. Si taciturne, si stoïque Lagertha quand le coeur s’affolait. Et arrête de fouiner c’est peine perdue.

Les lèvres moins pincées au sein de son humble palace, elle paraîtrait presque être une autre femme quand le regard glissait sur Echo, le visage nu d’artifice. Humaine loin des monstruosités quand elle retournait à son café, sur le canapé. Simple femme.

Chaque geste était silencieux, cachaient les failles dans les habituels mouvements robotiques. Pourtant, les regards ne trompaient pas et elle ne pouvait qu’à peine retenir les pupilles de parcourir la silhouette d’Echo. Si belle, si élégante Echo. Elle lui donnait des pulsions de possession, une envie de l’avoir entre ses murs pour l’aimer sans ces restrictions, ces malédictions qui les laissaient seulement se survoler.


Elle n’avait pas le droit, non, elle ne s'autorisait pas à vouloir Echo.

Elle serrait le noeud satiné, le regard fatigué quand Echo, cette éternelle vermine, refusait le peignoir. Terrible Echo. Terrible et pourtant Lagertha la laissait arpenter son appartement comme si elle y était reine. Lagertha se promettait qu’elle ne le serait jamais. (était-ce vrai ?)

Les pieds nus sur le carrelage, elle but son café noir, accoudée au comptoir, le regard qui refusait toujours de quitter Echo. Et stupeur quand elle fouilla, laissa tomber


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Quatre sucres. Arracha un sourire à Lagertha quand un sourcil se haussait de surprise.


– Un petit penchant pour le sucre je vois.

Qui aurait cru que la dangereuse Echo, la terrible dragonne, ne supportait pas l’aigreur du café.

Sauf qu’elle attaquait si vite, Echo, elle attaquait et Lagertha retrouva son sérieux, le voile terne sur le visage quand les pupilles noires semblaient si calmes.

– Comme si j’allais avoir des informations. Je ne suis que la main qui tient le revolver.

L’air si certain quand elle ne bronchait pas, le regard planté dans celui d’Echo. Elle ne pourrait jamais lire en elle. Jamais voir le mensonge sur le visage, même quand il était si flagrant. Là était la démonstration de sa volonté, sa liberté. Elle n'était pas en laisse.
Silence, Lagertha trempa ses lèvres dans le précieux café à nouveau, observa Echo sans le moindre pli de contrariété au visage, elle était égale à elle-même : un masque de neutralité.

Echo ne saurait rien, Echo ne serait que frustration et ça avait le don de tirer l’ombre d’un rictus sur le visage terne.

– Si tu y étais morte, j'aurais passé la nuit avec quelqu’un d’autre, tout simplement. J'ai 31 ans, je ne t'ai pas attendue pour avoir quelqu'un dans mon lit.

Tu n’es personne Echo.

Etait-ce là une pique ? Terrible Lagertha, cherchait à trancher Echo et son égo, lui faire comprendre qu’elle n’était reine que d’un château de sable. C’était conscient ou inconscient quand Lagertha ne faisait que dire la vérité. Lagertha n'aurait pas pleuré, elle ne pleurait pas depuis longtemps. Et puis, ne passait-elle pas ses nuits avec Absinthe et bien d’autres ?

Elle aurait pourtant voulu se faire chevalière malgré elle de ce château branlant, baiser sa main et se dévouer à l’aimer. Mais Lagertha se tenait tête droite, nonchalante, avec seulement cet éclat dans le regard quand elle ignorait tout bonnement Echo.

Vernis de son égo, la tête se fit plus droite, le port plus altier quand Lagertha jaugeait l’amante du regard. Si, elle le pouvait, le mensonge était facile, qu’importe qu’Echo y croit ou non. Lagertha restait maîtresse de ce qu’elle était, se refusait à courber l’échine, qu’importe les brûlures d’envie. Non, Echo ne l’aurait qu’à ses conditions et la tête ne se baisserait que pour l’aimer du bout des doigts, jamais pour lui abandonner son âme.
Elle ne pouvait s’attendre qu’à cette amertume, la même que la cheffe de milice connaissait, cette amertume trop douce quand elles étaient seules entre les murs. Et elle ne pouvait rien y changer, là était leur destin.

Lagertha aurait pu avoir un sourire vain face à l’ironie du sort, un sourire qui criait “oh, tu me connais si mal Echo” mais elle ne fit rien, resta les yeux sombres dans les siens, indolente quand elle le lui disait si abruptement.

– Tu ne me connais pas tant que ça, Echo.


Le sang au bout des doigts, la fatigue sur les traits lassés.
Lagertha ne mentait pas vraiment. Si elle savait tout, elle n’en était pas moins une simple arme guidant les autres lames. C’était que Lagertha ne recherchait plus la gloire, Echo, ni la puissance. Elle avait depuis longtemps été épuisée des égocentriques envies. Alors, le pas lent – si lourd d’années – s’approchait, jusqu’à ce que le corps frôle celui de l’amante.

– Je fais ça depuis plus d’une décennie. Le pouvoir ne m’intéresse pas, pas comme ça. La main glissa, légère sur la joue encore trop ronde pour comprendre (le comprendrait-elle seulement un jour ?) Le pouvoir n’est qu’un poison, Echo. Alors oui, ce rôle me convient parfaitement. J’ai passé l’âge de rêver de grandiloquentes ascensions. Le goût du sang n’était même plus ce qu’il était, la main avait quitté la joue diaphane. Mais tu es trop avide pour le comprendre n’est-ce pas ?

Ne voyais-tu pas, Echo, que tu signais ta perte avec ces ambitions immenses, là, transpirant de chacun de tes pores ?

Ni satisfaite ni déplue, Lagertha s’éloignait avec le calme d’une femme qui ne faisait plus que suivre ce chemin tracé bien des années trop tôt, ce chemin dont elle ne voyait même plus le bout Le sang pour le sang, une vengeance pour une autre, l’hubris qui jamais ne se taisait dans la ville. Lagertha avait choisi cette vie et s’y laissait vivre épuisée et pourtant apaisée à chaque goutte de sang sur le sol. Là était le monde qui était le sien.

Rictus mi-amusé, mi-ennuyé quand Echo cherchait à piquer. De nombreuses femmes avaient cherché sa jalousie et Lagertha, toujours était restée de marbre. Pourtant, Lagertha s’appuya au comptoir, alluma une cigarette et ne dit pas un seul mot. Silencieuse silhouette, c’était comme si Echo était un simple fantôme. Lagertha était seule, savourait la nicotine sans la regarder. Un court instant où le coeur bataillait car sous l’indifférence, il y avait cette pointe qui refusait qu’Echo s’éloigne d’elle.
Un regard entre les cils, sombre et énigmatique quand la cigarette entre les lèvres entrouvertes, les mots semblaient s’être tus.
L’aiguille des secondes sur le mur égrenait le temps, la cigarette grésillant à chaque bouffée inhalée. La cendre tombait dans la tasse de café à moitié bue, tournait dans la mer brune avant de se noyer. Et Lagertha restait de marbre.

– Si tu en avais envie, tu serais déjà partie.

Des mots qui criaient qu’elle pouvait partir, non, Lagertha ne dirait rien. Echo pouvait disparaître, Lagertha n’aurait rien ressenti, pas même le pincement au coeur que vivaient les adolescents quand l’aimé disparaissait au bout de la rue.

Ou peut-être que Lagertha avait trop fortement envie de croire qu’Echo ne disparaîtrait pas.

Les mots d’Echo résonnaient avec ceux de tout ceux qui avaient rêvé grand jusqu’à se brûler les ailes ou y perdre une part d’eux. Que voyaient-ils dans cette grandeur entachée de sang ? Si Lagertha comprenait les idéaux qui animaient certains, la pure envie de pouvoir lui semblait ridicule quand le monde pouvait s’écrouler en un instant. A quoi bon risquer plus encore que nécessaire ? Lagertha avait toujours la main contre la joue d’Echo, le pouce caressant une chair trop tendre pour tout le sang qu’elle avait connu.

– C’est ridicule, tu ne sais pas de quoi tu parles, le confort des grandes vies demande de grands sacrifices. Parfois même la vie. Et le pouvoir ne fait juste pas (plus) partie de mes rêves.

Lagertha rêvait de plages de sable blanc, de forêts calmes et paisibles où le sang cessait de pourrir au bout de ses doigts. Lagertha rêvait d’une vie isolée de tous ces maux propres à Ellipse. Ce qui était impossible tant il lui semblait improbable de cesser de se battre pour ce lieu qui l’avait vu naître. Pour Absinthe, Jule et toutes celles qu’elle aimait sincèrement. Alors Lagertha rêvait juste de calme après avoir tranché les gorges empoisonnées qui envahissaient cette ville et même ça, c’était impossible. Lagertha savait que le sang avait trop corrompu sa vie et qu'elle ne pourrait plus qu’être l’assassin qu’elle était devenue. Était-ce vrai ? N’avait-elle donc aucun vrai rêve ? La révélation ne l’avait pas étonnée tant que ça. Dans le regard, il n’y eut aucune surprise, comme si Lagertha n’était plus choquée de rien, si ce n’était trouver une parcelle de bonté dans cette ville. Les pupilles sombres se plantèrent dans celles d’Echo, l’air sage et surtout fatiguée par cette vie violente.

– Rares sont ceux qui arrivent à leurs fins. Généralement, ils finissent par manger les pissenlits par la racine quand ils s’attaquent à plus grand qu’eux.

Comme toi tu le ferais sûrement, Echo.

Et peut-être devait-elle la laisser faire. L’observer courir à sa propre perte et voir la victoire tomber dans ses propres mains.
Mais Lagertha ne pouvait pas vraiment agir comme ça. Il y avait ce serrement dans la poitrine, qu’importe les coups de couteau qu’elles pouvaient échanger. Echo était peut-être sa propre perte. Perdue dans ses pensées, elle vit Echo disparaître dans une dramatique tentative de l’attirer dans ses filets.

Dans le regard noir, le haussement délicat du sourcil, l’indolence valsait avec le déplaisir. Qu’est-ce que la jeune femme attendait d’elle ? Une colère soudaine ? Si la frustration pouvait faire frissonner le bout de ses doigts, Lagertha avait dépassé l’âge des passions déraisonnables, des courses au “je t’aime, moi non plus”. N’est-ce pas ? Lagertha aurait aimé le croire, peut-être était-ce vrai dans une certaine mesure. Mais Echo avait ce charme hypnotique qui avait happé la panthère. Alors dans la façade d’indifférence, les pas félins arboraient une rigidité tendue impropre à Lagertha lorsqu’elle suivait Echo dans la chambre, l’air nonchalant quand elle l’observait enfiler ce pantalon, la commissure des lèvres grinçant en un rictus tordu.

– Tu vas faire craquer mon pantalon et il ne me semble pas t’avoir dit que j’offrais les vêtements.

Appuyée au cadre de la porte, Lagertha fumait paisiblement. Seule preuve de la nervosité à l’idée de voir la jeune femme partir : le corps imperceptiblement plus crispé qu’à l’habitude. Le menton était haut, le regard aussi froid qu’à l’habitude quand elle barrait la porte.

– Je ne te retiens pas mais je tiens à garder mon placard rempli, Echo, arrête donc ton petit jeu, ça ne prendra pas.

Ça ne marcherait pas avec elle. Lagertha le pensait, qu’importe la frustration au bord du coeur, qu’importe l’envie irraisonnable de la garder entre ses murs. Lagertha ne lui céderait pas. Pas aujourd’hui.

A quoi bon vaincre si le coeur n’y était plus ? La cigarette au bord des lèvres, Lagertha n’avait depuis longtemps plus aucune avidité dans le regard. Elle voyait Echo et n’y observait qu’une course vers sa propre fin. A quoi bon s’élever si le sang continuait à bafouer sa chair, son âme ? Lagertha s’était damnée à l’instant même où le sang de sa mère avait brûlé sa peau et elle ne pouvait plus voir en cette entreprise macabre la moindre victoire si ce n’était celle de ses pairs.
Alors le regard ne dévia pas de celui d’Echo, elle n’avait pas à lui cacher la lassitude des années, ni les cicatrices sur la peau lorsque ses mains s'étiraient jusqu’à frôler les hanches de l’amante. Il y eut l’ombre d’un rictus sur le visage quand les doigts avaient écrasé la cigarette sur le meuble (elle lui faisait perdre son bon sens) pour saisir le tissu, doucement tirer pour l’approcher sévèrement – le regard était tendre pourtant. “Tu me fais tourner la tête, Echo, pour un rien, pour tout.” Un instant, les paupières restèrent closes avant de soupirer, les mains trop confortablement posés à sa taille.

– Il ne devrait pas y avoir de prochaine fois, Echo. Les mains serrèrent un instant le corps entre elles, dans un spasme discret, preuve d’un agacement trouble. Sauf si tu veux encore essayer de jouer à fouiner chez moi en me tirant les vers du nez.

Mais Echo déjà s’élançait, jouait encore et Lagertha eut l’envie de se saisir de son poignet, de l’attirer contre elle et ne pas la laisser fuir. Mais elle resta immobile. Le regard fatigué sous la vivacité des prunelles, elle ne semblait pas prête à batailler, ni à céder quoi que ce soit à Echo. Alors Lagertha ne bougea pas, se contenta de rester le regard plongé sur Echo un instant. A quoi bon lutter contre l’Icare qui finirait réduit en cendres par les flammes ? Il n’avait fallu que deux nuits pour que Lagertha comprenne qu’il était bien impossible de contredire une femme comme la dragonne. Et Lagertha ne voulait que boire un nouveau café, sortir dans l’air frais du matin avec son chien qui patientait sagement dans le canapé. Elle n’avait pas l’envie de batailler contre Echo.

Pourtant, Lagertha ne se poussait toujours pas, restait plantée sur ses pieds, une main encore à la hanche, aussi crispée que ses lèvres pincées.

– Tu es terrible Echo, j’aurais vraiment dû t’égorger dans ton sommeil.

Mais elle avait voulu l’embrasser et Lagertha avait cédé, dans la stupidité du désir. Désormais, elle se tenait tendue comme un arc, les lames toujours prêtes quand bien même le corps ne semblait pas prêt à attaquer son amante. Point de sourire, point de lame au cou mais des lèvres sur les siennes quand elle se décalait.

– Si tu tiens tant à partir, je te retiens pas mais la prochaine fois, ne compte pas sur moi pour céder à tes envies.

Quand bien même elles étaient aussi siennes.