Elle se souvient des quelques secondes qui ont précédé le flash aveuglant d'une bombe qui failli lui coûter la vie -des regards, des bruits, des sensations. Un malaise constant malgré tous les efforts qu'ils avaient fait pour apaiser la situation. Elle se souvient de toi, Stelian, de tes mots et de la fatigue sur ton visage inexpressif quand tu endormais l'esprit de ces pauvres gens. Tous des idiots. Beaucoup sont morts ce soir-là, et elle, elle ne s'en souvient pas. Retrouvée inconsciente parmi les débris, c'est ici qu'elle s'est réveillée, le corps douloureux d'une balle dans l'omoplate, elle n'a pas comprit.
Il a fallu du temps pour réaliser.
Pour analyser, pour comprendre.
Pour pleurer, enrager.

Et puis, à l'instant où ses doigts coupent le son des médias devenus bien trop pesants et que la télécommande vole à l'autre bout de la pièce, c'est ton regard qu'elle croise à l'entrée de sa chambre. Indéchiffrable quand elle est désespérée. Ses doigts qui froissent les draps soudain, elle n'a rien à dire.

— Stelian.

Elle n'a pas les mots.
Je suis désolée.

Des roses qui étirent à ses lèvres une légère esquisse avant que tu ne les poses au bout du lit. Des roses si jaunes, des roses si belles pour elle si laide -cette tenue ne va pas à son teint, elle a toujours détesté les hôpitaux. Rose n'a pas répondu, ni à ta question dont la réponse lui semble si évidente, ni au reste. Les mots sont bloqués, parce qu'elle ne comprend pas. Ce qu'il s'est passé, pourquoi tu es là. Toi, Stelian, pourquoi tu es là dis ? Si ce n'est pas pour la tuer, elle s'imagine que tu as bien plus important à faire que de rendre visite à celle qui a manqué de te tuer toi.

Alors, non Rose n'a pas répondu, le regard perdu quelques instants sur les fleurs à ses pieds. Ce n'est pas bien long, simplement le temps de lui laisser reprendre contenance. De lever son regard pour le poser sur toi.

— C'est une honte de faire une tête pareille lorsque l'on a un aussi beau visage, Stelian. demi-sourire aux lèvres toujours, au moins elle n'aura pas perdu son humour foireux. Tu devrais essayer de sourire, un jour.

Un jour qui ne soit pas aujourd'hui, parce que c'est bien trop compliqué aujourd'hui. Doucement, elle observe le ciel à travers sa fenêtre. Pas plus de deux petites secondes, simplement le temps d'inspirer avant de recommencer à parler.

— Je pensais avoir fait les choses correctement, j'ai pris le temps de tout vérifier moi-même minutieusement et malgré tout ça j'ai quand même réussi à foirer.

Seulement à quoi ça servirait qu'elle te dise à quel point elle est désolée ? Tu le vois bien dans ses yeux, de toute façon -et elle n'aime pas ça, les excuses.

— Est-ce que tu es venu me tuer, Stelian ?

Es-tu venu l'abandonner, as-tu douté d'elle comme tous les autres toi aussi ? Enfin, visiblement presque tous. Un coup d'œil au bouquet avant qu'elle ne le repose sur toi, encore. Dans tes yeux qu'elle tente toujours vainement de déchiffrer.

C'est lamentable.
Lamentable comme elle enrage.

— Non, bien sûr que non.

Malgré le ton fatigué, tu sais bien qu'elle ne t'aurait jamais trahi Stelian. Elle en est incapable, bien trop accrochée aux Dragons, sa famille ; bien trop accrochée à toi. Rose t'est, malgré tous tes travers, malgré tous ces coups bas dont elle n'a pas forcément conscience et malgré tout le reste, entièrement dévouée. Pourtant vous voilà aujourd'hui, elle dans ce lit, toi assis tout près. Elle s'est vraiment demandée si tu venais en ami, tu sais ? Seulement elle sait parfaitement que toi, des amis tu n'en as pas.
Alors pourquoi est-ce qu'elle essaie encore de creuser ?
Pourquoi est-ce qu'elle t'écoute sans jamais abandonner.
Ton frère a disparu.

Le souffle qui se bloque.
Le regard qui s'agrandit -s'étonne un instant, pas certain de comprendre. Il lui faut un instant pour digérer l'information. Prince. A disparu. Il est mort ?
Pourquoi tu lui dis ça ?

— T-tu-

Elle ne saurait balbutier autre chose tant le choc est grand.
Alors sans un mot Rose ravale sa salive, ravale les larmes qui montent malgré les rancœurs et les colères -parce qu'elle avait eu beau le haïr, le détester de toutes ses forces, ils avaient fini par indéniablement se rapprocher cette dernière année; et si leur relation n'était pas si parfaite, l'annonce de sa disparition n'en laisse pas moins un vide qu'il lui faut accepter. Qu'il faudra combler.

— Excuse-moi.
Ce n'est pas la réaction à laquelle tu t'attendais, pas vrai ?

Elle se défile d'un léger mouvement de l'emprise de tes doigts à son menton, juste le temps de fermer les yeux pour respirer. Un soupir, pour évacuer, puis à nouveau vos regards l'un dans l'autre. Tes iris sont d'un bleu si pur Stelian c'est difficile de croire qu'ils t'appartiennent vraiment.

— Tu te méfies déjà. Tu ne m'as jamais vraiment fait confiance, et pourtant je n'ai jamais songé une seule petite seconde à te trahir. Jamais.

Ce n'est pas un reproche, ce ne sont pas des excuses.
Simplement la vérité la plus stricte et la plus sincère qu'elle puisse te confesser, le ton plus qu'assuré.

— Je ne suis pas mes parents, je ne suis pas mon frère -est-ce que tu t'en es seulement rendu compte depuis le temps ? Je ne te suis pas fidèle parce que tu m'as forcé la main ni parce que tu m'as sauvée de ces enfoirés l'année dernière.

Elle est fidèle parce que c'est toi.
Alors elle n'a pas peur, fais ce que tu veux.
Je ne t'abandonnerai pas.
Et je pleurerai les morts bien loin de tes yeux.

— Je ne te remettrai pas en question, je ne poserai pas non plus celles qui me brûlent les lèvres. Alors tout ce que je te demande en échange, c'est de me faire confiance, Stelian.

Rien qu'un peu.
Laisse la devenir ton amie pour de vrai -toi qui n'en a jamais vraiment eu.