• et le voilà qui arrive sous 4 couches de fringues trop cher, verre de kir royal à la main et sourire aux lèvres. Iel a passé toute sa matinée à se pimper, iel a rassemblé toute sa confiance en lui, juste pour ces trois heures. Trois heures à se pavaner au bras d’un client vaguement fortuné venu claquer un quart de sa fortune au casino. Trois heures de taff, certes, mais aussi trois heures de regards qui lorgnent sur ses clavicules, ses hanches, sa jupe trop courte. Il vit pour ça, pour la sensation d’être beau, attirant, désiré. Il se fait des trips de self-esteem, ça l’envoie direct au paradis. Parce qu’iel a peut-être pas la plus grande des confiances en soi, mais son égo il gonfle comme un ballon dès qu’iel se perche sur ses talons.
• iel a passé particulièrement de temps à cacher ses yeux rouges et gonflés derrière ses lunettes gucci et ses faux cils. Iel a pleuré toute la nuit le départ de Harry, qui l’a laissé comme un con après avoir tiré son coup, prétextant qu’il le trouvait un peu trop collant. C’est quand même pas sa faute si ce gros cœur d'artichaut se voyait déjà la bague au doigt, la maison, le chien et les jumeaux. Certains diront qu’au bout de 3 jours de flirt, c’est un peu rapide, mais c’est comme ça, c’est un grand romantique. Vous inquiétez pas trop pour lui, demain iel aura jeté son dévolu sur une autre personne lambda, se fera briser le cœur une semaine plus tard, et etcetera.
• iel se fait aussi souvent larguer, pour la même raison qu’on a plus trop envie de manger un big mac une fois qu’on voit à quoi ça ressemble sur son plateau. On drague un gars électrique, imprévisible, qui flirte comme personne, et une fois qu’iel fait tomber la combi à paillette et les colliers de perles, on se retrouve face à un grand timide, qui rougit à la moindre démonstration d’affection, qui parle doucement, la voix chaleureuse pleine de tendresse et d'émotions.
• iel est dépendant, s’accroche à vous comme à une tique. Iel se fait avoir par les belles promesses, de le protéger et de prendre soin de lui. C’est en partie due au fait qu’iel est super nul pour gérer la vie, faire le ménage, s’occuper de lui. Iel vit au-dessus de ses moyens et passe la dernière semaine de chaque mois à lécher le fond des paquets de riz.

Iel regarde le plafond, comme un con, les yeux pleins de larmes. Dans sa tenue d’Eve, iel résiste à fermer les yeux quand les rayons du soleil viennent lui chatouiller la rétine. Iel se mord les lèvres, plante ses ongles dans ses paumes ; iel veut sentir la douleur jusqu’au bout, jusqu’à ce que ça passe.
Holly est partie ce matin, après lui avoir claqué son plus beau sourire. Iel croyait encore, naïvement, que c’était la bonne. C’est pourtant pas comme si elle l’avait rejeté, hurler dessus, lui avait dit qu’elle ne voulait plus jamais le revoir. Elle ne faisait juste pas partie de celleux qui restent au lit pour se regarder les yeux dans les yeux, se caresser les cheveux en appréciant la chaleur entremêlée de deux corps qui s’aiment.
Le voilà seul, dans son lit queen size, suffoqué par le vide, par l’espace.

Ça lui arrive encore de temps en temps de faire des crises d’angoisses, mais beaucoup moins depuis qu’iel a découvert ses pouvoirs. Iel avait 16 ans. Et vous me direz, c’est un peu tard, mais c’est pas si grave ça peut arriver, nan ? Allez dire ça à Papa et Maman.
Une fratrie de trois enfants, le premier et le dernier, brillants, celui du milieu, pas vraiment. Ça fait tâche sur la photo de famille. On lui a fait comprendre de manière plus ou moins subtile, que l’amour parental était conditionnel, et qu’iel avait déjà dépassé la limite. Être le mouton noir de sa classe n’aidait pas à l’ambiance à la maison, iel se sentait souvent seul, abandonné, au bord du gouffre.

A 16 ans, iel a fait son baluchon et s’est barré sans laisser de mot. De manière ironique, c’est à ce moment-là que son don s’est manifesté. Avec pas un sous en poche, iel a suivi celleux qui voulaient bien s’occuper de lui, découvrant peu à peu sa faim vorace pour toute démonstration d’affection et de désir.

Ce qui est pratique quand on est en situation de grande précarité, c’est qu’on devient facilement invisible. Peu de gens remarquent les gamins à la rue qui laissent traîner leurs yeux et leurs oreilles partout. Iel a vite appris que les informations, ça se vend, et ça peut se vendre cher.

Une fois remis sur pied, iel a foutu sa vie en chantier. Une mammec et d’la T plus tard, iel se découvre une confiance en soi. Tout s’enclenche comme une machine, le voilà qui se laisse draguer par tous les loubards. “Tu sais que tu pourrais tirer cher de ce sourire là ?”. Iel entre en piste, maintenant le voilà au bras des gens qui ont du fric.

Entre deux grosses larmes qui coulent de ces joues, en se regardant dans la glace, iel se sourit en se rappelant ses parents, ses bullies, tout les connards qui lui ont craché dessus et se dit :

“J’les emmerde toustes, j’suis plus beau que n’importe qui.”