fb. loose ends (elio)

Ambiance feutrée sous la douce lueur des lumières tamisées ; visages familiers, fatigués. Les retours lourds de journées chargées ; les cernes tracées et les commandes s’entassent petits à petits. Les pensées s’embrument au fil des verres et tu t’efforces à te concentrer sur celles des collègues ; la coordination dans le travail passe d’abord par l’anticipation des tâches.

La salle de nature spacieuse semble plutôt remplie et c’est ta boss qui s’en réjouie silencieusement. Malgré tout les chaises hautes face à toi sont inlassablement vides. Seuls deux trois solitaires se prélassent de leur boisson te réclamant un nouveau verre. Tout de suite, j’arrive. Le sourire impeccable, le client peut se sentir roi.

La soirée s’annonce longue - pas que tu sois malheureux, ça changera bien des nuits passées en prison à te demander qui viendra tenter de te dépouiller. Tu préfères amplement astiquer la vaisselle et conduire vers la sortie les clients trop ivres.

Un collègue arrive, réclamant une énième commande. Pour la table quatorze. Tu t’exécutes sans prendre peine de remarquer la présence de ton cher ami. Le collègue repart avec la commande et c’est aussitôt que tu fais quelques pas vers lui. Désolé, trop concentré je t’avais pas remarquer. Torchon propre entre les mains, tu les nettoies rapidement avant de lui lancer un sourire Je te sers quoi ? T’étais subitement d’humeur à discuter, sans réaliser que le nombre de clients avait déjà de moitié réduit.

@W. Anastase Johansen

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musique

You're silly, you can let go. Follow me. You will never know, unless you come with me.

C’est drôle.
De faire partie des meubles, d’être tellement habitué à habiter un lieu que l’on devient aussi ineffable que le mobilier. Certains diraient que c’est pathétique, pathologiquement triste.
Toi ça te donne l’occasion d’observer.
D’avoir le pouvoir de te demander qui sont ces gens, ce qu’ils évitent en venant ici. Les ongles coupés à ras tapotent sur le comptoir, jouent avec le briquet évidé par le tabagisme agressif que tu n’as jamais tenté de reconsidérer.
Et puis le quatrième mur est brisé par sa voix enjouée, tu souris sans même lever tes yeux. L’habitude a du bon.
« Tu fais ton travail Ana. Tenir le crachoir est un passe temps, pas ce pourquoi t’es payé à la fin du mois tu sais. »
Une manière alambiquée de dire que tu n’en tiens pas rigueur, le caprice ne fais pas parti de ton vocabulaire. Et à sa question, tu relèves ton poignet, regarde le cadran fissuré. Tes ongles suivent la trotteuse tandis que tes cils s’abattent sur tes yeux.
Trop tard pour s’oublier, trop tôt pour refuser.
Tu balances ta tête d’un côté, puis de l’autre, les lèvres plissées, incertain de ce que tu aimerais.
« Il paraît que le vin rend les gens bavards. Du blanc s’il te plaît. »
Ana c’est un bon gars.
Tu ne le penses pas seulement car il te sert. À force d’observations, on trouve beaucoup de choses à dire sur les gens. Un ton neutre mais bienveillant, un soucis de bien faire, des airs débonnaires.
C’est plaisant de spéculer sur la psyché des gens.
« Du coup je vais être celui qui boit et qui posera les questions. Histoire de te faire participer. »
T’es pas l’une de ses silhouettes tristes, t’as pas besoin d’être écouté. T’es au-dessus de tout ça, toi tu veux savoir ce qu’il se cache, affirmer tes hypothèses alambiquées.
Tuer le temps de manière chaleureuse.
D’inverses les rôles, parce que c’est plus drôle.
« Comment ça va ? T’en as pas marre d’être coincé ici à parler à des alcooliques dans le déni, tu veux pas faire autre chose de ta vie ? »
Indélicat. Ni moquerie, ni mépris.
Tu veux vraiment savoir comment il va, si derrière ce côté lisse, il y a quelques aspérités à gratter.
C’est comme restaurer un tableau, dépoussiérer pour voir le beau.

HRP — ...

Quelques mots articulés avec légèreté, tu tiens compte en acquiesçant discrètement avant que les réclamations tombent. A ton plus grand bonheur, la salle se vide un peu plus et t’entends de nouveaux les complaintes silencieuses ; certains veulent boire encore, d’autres doivent se lever beaucoup trop tôt. Les vies sont ici aussi misérables que les rires, le tableau d’existences grises et maussades teintés seulement par les nuées capiteuses.

Calice élégamment posée sur le comptoir, le verre se remplit sous les questions incessantes de ton client. Le vin blanc rend bavard, tu souris à la remarque. Je sais pas, tu te comptes dedans ? Dans ce cas-là, c’est pas trop mal. Deux doigts s’attardent sur la base du verre, le poussant délicatement l’incitant à boire.

Je vais bien. Assurance dans la voix, suivit d’un soupir, ce n’était pas comme si tu mentais pourtant. Le job convient pour le moment, ça paie mieux que mon dernier travail ; je sais pas ce qui m’a prit de retourner bosser pour un fast-food. C’était dégueulasse en plus. Voilà que tu te plains, ça n’a rien de sérieux et c’est sûrement au plus grand plaisir d’Elio. Je compte pas rester travailler ici toute ma vie non plus. Seulement là où le vent te portera.

Et toi, la journée ? Comment ça va ? Les gestes rythmes tes paroles ignorant les mauvais regards de ton collègue. La jalousie n’a pas de nom lorsqu’on n’a rien à se reprocher.

@W. Anastase Johansen

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You're silly, you can let go. Follow me. You will never know, unless you come with me.

Les tempes qui battent, tu noies tes pupilles dans le liquide aux reflets pétillants. Il y a de l’émerveillement même dans les lieux les plus crasseux. Pour toi, il suffit qu’un liquide reflète la lumière à la manière d’un prisme tailladé pour que tu te retrouves captivé.
« C’est ta mémoire qui t’as fait défaut. » Tu souris entre tes lèvres gercées, un soupir discret vient s’y glisser. « Quand on retourne à la potence, c’est que la première fois était pas assez marquante. » Une manière plus élégante de lui dire que ça lui fera les pieds.
Toujours alambiquer les trivialités, ça les rend magique.
Première gorgée.
Ça glisse le long de ton gosier et tu hausses un sourcil. Pas de commentaire, c’est parfois mieux qu’un long monologue.
Mais t’en perds pas pour autant tes yeux rieurs, un poil moqueur.
« C’est quoi tes plans futurs ? Maraver le gars installé dans le coin là-bas, voler son coupé garé à l’entrée et me kidnapper au passage ? »
Tu es mauvais. À toujours titiller les esprits sérieux. Sans malveillance dans les mots, tu t’en amuses pourtant certainement.
Tu allumes une cigarette entre tes dents, remarque derrière les bouteilles alignées sur les étagères, le miroir. L’un de tes cheveux blancs prend la lumière, il te nargue.
Alors tu plisses les yeux, de quoi le rendre invisible.
« Ma journée ? »
Une bouffée après l’autre, seconde gorgée.
Ta main vient frotter ta paupière comme si Morphée venait de venir t’assommer pour te faire taire. C’est que tes propres jours t’ennuient. Il n’y a que tes nuits qui valent le coup d’être racontées.
« J’ai donné cours à l’université. C’était un poil barbant je dois l’avouer. C’est pas un cadeau du ciel que d’éduquer les futures générations. »
À chaque époque ses têtes à claques, son lot de surprises.
Et puis tu souris camouflé dans le nuage de fumée grisé dans lequel tu t’es embaumé.
« Me fait pas croire que ma journée t’intéresse, tu fais une jolie épouse mais ça reste peu convaincant tu sais. »

HRP — ...

Mémoire défectueuse et paroles fatalistes. Tu avais le goût des dépendances autrefois, lorsque la vie n’était pas encore assez précieuse et lorsqu’on favorisait des joies artificielles aux réelles tendresses. Les gestes suivent le rythme des souvenirs, le futur remit sur le comptoir.

Un instant tu penses,
puis celles des autres t’interrompt. C’est contraignant (pas vraiment, non).

L’odeur de la cigarette échappant à tes songes imaginaires le regard se reportant sur un homme dissimulant l’épuisement, exprimant la fatigue en un cri de fumée. La routine est peu intéressante, la vie est d’une stabilité lassante ; tu ne peux pas réellement en dire autant, cependant, tu comprends. Quel étrange être tu fais, bloquer entre frustration et compréhension, tu te penches sur le comptoir, croisant les bras. Tu vois de loin, quelques clients qui partent.

Tu sais quoi ? Je suis déjà une parfaite épouse, montrant fièrement les dents, riant de ta propre plaisanterie, tu recules exécutant des tâches mécaniquement.

Peut-être je dois vraiment maraver le gars d’à côté pour avoir une situation stable. Tu le sais pourtant, que l’homicide volontaire est peu fiable envers les avenirs brillants ; je crois que le sentiment de stabilité me rassure, qu’importe si je vis dans un appartement moisit et que je gagne une misère, les mots sont prononcés à la manière de secrets, on aurait presque dit que tu t’adressais à toi-même.

Peut-être que c’est rassurant d’avoir le contrôle après longtemps, on se complait même dans la médiocrité et tu trouves ça franchement minable.

@W. Anastase Johansen

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You're silly, you can let go. Follow me. You will never know, unless you come with me.

Faut savoir apprécier les conversations accompagnant le bon vin. Complémentaire et indicible, tu souris. Toi t’es admiratif, tu saurais pas te complaire dans une telle routine.
Et si tu comprends le sentiment, tu le respectes silencieusement, la curiosité au bout des cils.
« Fais gaffe, tu vas finir marié dans l’année. »
Tu passes tes ongles coupés ras entre tes boucles sombres, taquinerie posée sur la commissure de tes lèvres. De cauchemars en cauchemars, tu ris ouvertement à propos des sujets qui t’effraient indéniablement.
La cendre entre les doigts, tu peux que sourire et respecter l’humour dont il fait preuve. L’auto-dérision avec laquelle il vous conduit.
Il a toujours été un gars intéressant.
« Tu vaux tellement mieux que ça. »
Ça t’échappe, dans un élan débonnaire. Les sourcils haussés, la rétine qui fait un grand huit pour rejoindre le derrière de tes paupières. Une once de mépris. Pas contre lui, ni contre ce qu’il est ou représente. Mais contre ce qu’il s’inflige.
Tu craches ta fumée, décalant ton visage. Une barrière opaque entre vous et le reste du monde, tu l’observes avec une tendresse étrange. Ton sourire en bouclier, tu pointes tes iris dans les siennes.
T’aimerais lui dire que tu voudrais lui prêter tes yeux pour qu’il ait l’audace de voir les possibilités. Et quand bien même tu ne t’ai jamais étouffé par arrogance, tu te tais.
Tu comptes paisiblement dans ta tête quelques maigres secondes, celles qui te sépare de raconter une bêtise.
« Si un jour tu t’ennuies, j’aurais une place pour toi. »
Une nouvelle gorgée, de quoi faire passer le reste.
« Te sens pas pressé. Elle est à pourvoir que par toi, la concurrence risque d’être maigre. »
Ta manière à toi de dire que seulement lui pourra faire ça. D’insinuer sans l’appuyer que tu créerais des contrats fictifs les yeux fermés pour lui. Parce qu’il transpire l’honnêteté la plus viscérale que t’ai ressenti.

HRP — ...

Tu rabats un torchon sur ton épaule, laissant ton ami à ses plaisanteries. Homme marié, qu’il croit dire, tu lâches un rire aussi spontané qu’étouffé.

Une histoire de valeur teintée ensuite du goût âcre de la fumée ; non tu ne vaux pas mieux que ça. Que cela soit ta sortie de prison, le meurtre ou la perte de Dalia, tu vivais depuis longtemps maintenant bercé d’une lâcheté imprenable. Avec pour seul regret ton égoïsme, laissant moisir sous la tombe, le père de sa nièce.

Et ça te soulageait.

Ce n’est pas malheureusement les paroles tendres de ton confrère qui allait changer quelque chose. Te voilà encore égoïste de ne pas considérer la bienveillance d’autrui ! Posant les deux mains sur ton comptoir, délaissant tout autre activité, tu laisses à sa propre découverte un regard complexe ;je suis pas en difficulté en ce moment, tu sais ?

Seulement face à tes propres critères. T’abandonnes à quelques silences, finalement tu te redresses. Mais si un jour je galère, je songerais à me tourner vers toi. Sourire et reprise, je pense tu paies mieux qu’un fastfood de toute façon.

Sans prévenir tu lui sers de nouveau un verre. Celui-là est offert par la maison, du moins par toi en particulier, merci. Tu aurais l’air presque timide.