Sacs à ses mains, Perséphone était jeune. Ce poids invisible des responsabilités passées qui s’envolent à chaque centaine dépensée voilà une espèce de purification de la consommation. Depuis si longtemps, elle se sentait enfin maîtresse de cette destinée étrange qui est la sienne. C’était cela le pouvoir du capitalisme de se sentir chef des dépenses ridicules, de choisir quelle robe mettre avec l’impérieux mouvement de la carte bleue en se pensant infiniment libre mais la liberté n’a qu’un prix fixe sur une étiquette de carton.

Perséphone était bien pleine désormais des choses manufacturées, s’accumulant à ses blancs poignets. Assise sur cette chaise au milieu de cette foule, elle avait commandé une boisson. Laquelle ? Son esprit ne s'embarrasse pas de ces menus détails, elle aime tout après tout. La vitrine lui renvoie une image d’un finesse étrange, une femme brune avec des bijoux et une petite armée obéissante de plastique à ses pieds. Une main pensive vient caresser ses mèches et cet étrange sentiment l’envahit, culpabilité qui danse une valse hypnotisante avec la douleur pour se mêler dans son esprit dans une brume lourde.

“Pourquoi elle avait survécu ?”
“Qui était-elle au final?”

Ces questions lourdes n’avaient plus aucune sorte d’importance normalement, plus aucune sorte de force. Mais, s’appuyant sur son esprit, Perséphone désirait pleurer encore une fois mais ses yeux restaient figés comme deux quartz sans âme sur le moindre des traits de son visage. Ses joues n’avaient plus le doux rebondissement de l’enfance, sa peau asséchée n'apportent plus aucune trace de ces boutons disgracieux.

Chassant, plus qu’elle ne fuit ses pensées, son numéro fut appelé. Se levant d’un mouvement brusque, quelque chose de mou heurta son torse et d’un rejet organique la repoussa sur son dos. Avant même que les mots élégants puissent franchir ses lèvres, elle vit cette chevelure rousse qui hantait parfois le manoir d’une famille qui a été la sienne. Les yeux se rencontrent et une certitude horrible se noue dans son esprit.

“Nevada sait”

Éructant quelques mots, une excuse qui la débectait d’avance :

-Désolée de vous avoir percutée.

Ne va pas plus loin, c’est trop dangereux Nevada.  

Le monde s’arrête encore une fois et cette peur, cette peur qu’elle a appris à fuir et à craindre revient dans son sein.

Nevada, poupée et douceur d’un temps reclus. Nevada la gardienne de celui que le monde avait puni des crimes qu'il n’avait jamais commis. Et dans cette douleur perpétuelle que Perséphone avait fait comme son étendard et son sang, elle ne pensait plus à ce passé qu’elle avait accepté comme fatalité.

Mais pourtant, voici que le souffle lui manque devant ce nom lointain qu’elle avait oublié. Eurydice la mortelle qui avait succombé dans les bras de la mort délicieuse, mais pourtant dans les yeux de cette témoin de sa gloire, Eurydice était vivante. Elle voyait dans le reflet de ses orbes, la rose parure que fut ses cheveux et ces rires qu’on contient avec difficulté.

-Non...je ne suis pas… je ne suis pas...

Et les larmes voulaient remonter quand on pense à ceux qui sont partis, et à ceux qui auraient dû rester. Mais la peur de son identité la pousse à s’approcher prestement de Nevada dans une étreinte qui avait le goût de l’amitié mais l’arrière goût de la terreur :

-Le temps passe vite ahaha, j’allais chercher un café, je te paie ce que tu veux. On a besoin de parler toutes les deux. Et tu as encore confondu mon nom avec celui de ma soeur, je suis Perséphone moi.

Supplication silencieuse, Nevada. Coup d'œil furtif à ceux qui auraient pu surprendre cette banalité de rencontre. Mais une partie d’elle voulait espérer que Nevada saurait lui dire que tout ira bien. L’attirant vers le comptoir, la main de Perséphone prit sans aucune élégance aucune ce gobelet marqué de son nom, et avec le sourire des douleurs lui proposa :

-Prends ce que tu veux, je te le paie.

Accepte cette offrande, Nevada, perséphone t’en supplie. Dans ces mots répétés, cette angoisse qui éclot dans une magnifique lycoris, plongeant ses racines dans son coeur.