Je plissai les yeux, le bras en visière à mesure que je progressai dans l'avenue. Le soleil tapait plutôt fort, un signe avant-coureur du printemps qui point à l'horizon. C'est loin d'être ma saison préféré, les températures plus froides m'attirant bien plus que celles caniculaires.

Je sentis mon téléphone vibrer dans ma poche et cliquai sur la petite fenêtre qui s'affichait. Les mots et les lettres se mélangeaient dans un ensemble véritablement dissonant. J'eus l'impression que les phrases se dilataient et brouillaient mon champ de vision à mesure que j'essayai bêtement de les comprendre.

Je reçois parfois des choses similaires ; ce sont des sms, je le sais très bien, mais je suis rapidement submergé par le sens de leur contenu. Je ne réponds jamais à aucun d'eux par question de praticité, et d'habitude surtout. D'ailleurs, je préfère les appels puisqu'il n'y a aucune trace écrite et que ce portable est en réalité un objet d'emprunt. Le chef me l'a prêté lorsqu'il sut que je n'en possédai pas. L'argent que je gagne est plus destiné à l'achat de médicaments pour mon père que pour mon propre confort. Quand je me vais à l'orphelinat, je n'en ai pas besoin et j'effectue toujours mes activités de gang aux mêmes heures -- bien que j'ai encore du mal avec les chiffres.

Je connus l'emplacement du bâtiment grâce aux passants que j'arrêtai à la dérober afin de leur montrer le contenu de mon message. Leurs indications furent claires pour certains et plus abstraites pour d'autres, mais je m'en formalisais pas. Je retins plus facilement les informations lorsqu'on m'indiquait une direction par des moyens mnémotechniques comme des panneaux ou des structures, qu'au nom d'une rue. Même si je n'ai aucune réelle notion du temps, je m'y prends toujours à l'avance afin d'être à l'heure. C'est étrange, mais même l'horloge reste un mystère pour moi.

J'entrai dans le sorte de bar à thé car ça sent les feuilles de thé infusée, et reconnus Soanja au loin. J'annonçai ma présence par un grand signe de la main et m'avançai jusqu'au fond de la salle. Je coinçai le dossier de la chaise entre mon pouce et mon index, la tirant vers moi, avant de prendre brutalement place, me laissant juste tomber lourdement. Un soupir d'aise s'adjoignant au os de mon dos qui craquèrent contre le dossier.

Probablement que l'épuisement de cette escapade se lit sur mon visage transpirant ; cela dit, je démêlai mon timbre de mes sensations directes pour la saluer amicalement.  



Je déploie une espèce de sourire à mi-chemin entre la franchise et la gêne. On s'est retrouvé ici pour une raison bien précise et quelque part, devoir l'admettre ouvertement est toujours autant difficile. Je retarde bêtement l'échéance en buvant longuement, beaucoup trop longuement pour que ce soit normal, la boisson qu'elle m'eut choisi.



Je meublai un peu, ignorant ses cahiers et feuilles qui couvraient la table comme si le simple fait de ne pas les regarder orienterait la conversation sur un autre sujet que la véritable raison de ma venue.

Je sus que c'était peine perdue, Soanja ne me lâchera pas. Elle aime aider les gens au moins autant que moi et sait être têtue dans l'exercice de ses fonctions.

Je réagis positivement à la nouvelle. Savoir que l'enfant de celle qui est comme mon enfant soit heureuse me donne toujours du pep's !

Par effet d'imitation, je sirotai également ma boisson, trempant prudemment mes lèvres. Je fus vite refroidi par le fait de tenter quoi que ce soit de précipitée avec ce thé brûlant et décida d'encaisser une gorgée par politesse, avant de répondre.



Sa présence est quelque chose que j'apprécie, tout comme cette aura joyeuse qui émane d'elle et qui me rendis beaucoup plus détendu. Mon regard traversa son visage de façon beaucoup plus ouvert et expressif, captant les petites expressions fugaces sur le sien à mesure qu'elle évoqua le foyer dans lequel elle eut grandi. C'est toujours un plaisir de savoir que nos anciens poussins prennent un envol positif vers l'avenir.



La dénommée a travaillé à mes côtés et s'entendait bien avec Soanja, alors je transmis le message du mieux que je le pus, en manquant certainement les nuances qu'elle eut imposées à ses salutations à cause de mon manque flagrant de vocabulaire.



Je fis des vagues avec mes mains, laissant comprendre qu'elle est plutôt stagnante. C'est autant une bonne nouvelle qu'une mauvaise, car si rien ne va en s'améliorant, rien n'empire non plus. Malgré ça, je n'arrivai pas à me décider si je dus me réjouir ou non et haussai finalement les épaules.



Je ne trouvai rien de plus à ajouter pour combler les blancs, et parler de la situation avec mon père me réconforte moins que je l'aurai cru. Je ne suis pas doué pour engager une conversation quand la précédente m'a secoué. J'essayai de ne rien laisser paraître mais quand je repris mon thé, le reflet qu'il me renvoya fut l'image d'un homme désespéré, à court de ressource et surtout

-fatigué.-

Je répondis à son sourire par un autre, un peu moins engageant cela dit. J'ai toujours du mal à forcer mes expressions faciales en quelque chose qui convienne, surtout lorsque cela concerne des plaies encore profondes, à peine recousue. Je peinai à rester désintéressé pour garder la face, et surtout pour ne pas l'inquiéter davantage.



Je fus toujours mal à l'aise lorsque ce fut à moi de parler pour mon propre compte. Je n'ai rien à cacher, mais je n'ai rien à montrer non plus. Je suis toujours plus prompt à parler des soucis des autres qu'à accorder du crédit aux miens. Rationaliser les problèmes d'autrui, c'est mon domaine ; je déteste particulièrement quand les autres absorbent mes problèmes à ma place. J'ai toujours eu peur de faire mal et de décevoir les autres.

C'est pourquoi, lorsqu'on en vint à la réussite de ma venue, j'utilisai immédiatement la diversion pour m'exprimer avec fluidité.



Je me grattai longuement la nuque, laissant les muscles de celle-ci se reposer contre mes phalanges, yeux clos, avant de pousser un petit soupire de relâchement et de poser mes mains sur mes hanches avec une expression plus ou moins interrogative.



Car je n'eus naturellement pas précisé que je ne sus pas lire. Je ne sais pas pourquoi j'en ai honte, ce n'est pas une tare pourtant. Je suis le premier à combler les lacunes des enfants, des uns ou des autres, mais lorsqu'il s'agit de moi, je suis toujours bloqué.