huit heure vingt-cinq.
Le pas rapide, elle traverse les rues qui la séparaient de son appartement à celui de Nevada -quinze minutes de marche tout au plus- une main tenant deux chiens en laisse et le troisième logé dans son autre bras. Elle avançait vite pour qu’il ne reste pas trop longtemps dans le froid de janvier et laisse échapper un souffle soulagé quand elle voit l’immeuble se dessiner au coin de la rue.
Elle avait trente minutes pour déposer les chiens et leur affaires, puis repartir vers l’hôpital; ça sera rapide mais elle n’avait pas vraiment le choix, ayant remarqué que son petit spitz noir était fievreux au réveil.
Si elle avait pu, elle aurait pris un jour de congé.
Mais elle avait trop de responsabilités pour la journée et se retrouvait donc chargée d’un stress en plus, même si elle savait qu’elle pouvait confier ses chiens à Nevada.
Elle avait, après tout, la vie de son frère à portée de main.

huit heure trente.
Une volée d’escaliers soulignée par le claquement sec des talons jusqu’à ce qu’ils arrivent devant le bon appartement.

Du calme. Assis.

Obéissant, le plus imposant des trois s’assied devant la porte pendant que Babylone sonne, exactement une seconde, et attend qu’on l’ouvre, les yeux fixés sur la petite boule dans ses bras anormalement calme et confortablement installée.

La porte ne tarde pas à s’ouvrir et Babylone tire machinalement le coin de ses lèvres dans un sourire courtois.

Bonjour.

Corneille semble se réveiller un peu plus à la vue d’une autre personne tandis que l’autre petite boule ne se fait pas prier pour commencer à sauter dans les pattes de Nevada. Babylone hoche la tête à son invitation et ses chiens la suivent sagement lorsqu’elle traverse l’entrée, s’arrêtant un instant pour retirer ses escarpins et les laisses des deux autres chiens.
Son sourire revient en voyant l’espace aménagé pour Corneille et elle lui marmonne doucement dans ses bras.

Regarde mon coeur, Nevada a fait ça rien que pour toi.

Elle le dépose confortablement avant de tourner la tête vers la jeune femme, un sourire plus détendu sur les lèvres.

Merci, c’est adorable. Un visage plus inquiet. Il a surtout de la fièvre et ne bouge pas beaucoup. Je ne crois pas que ça soit bien grave mais je préfère qu’il ne reste pas sans surveillance.

Elle ne savait pas exactement ce qu’il avait mais ce n’était pas la première fois; s’il n’irait toujours pas bien dans la soirée, elle prendrait sa journée de demain pour aller chez le vétérinaire. Mais en attendant, elle savait pouvoir confier sa garde à Nevada.
Sa question pique son intérêt et elle jette un coup d’oeil rapide à sa montre; elle pouvait se permettre dix à quinze minutes avant de se remettre en route, puisque l’hôpital n’était vraiment pas loin.

Je veux bien, merci. Je peux encore prendre un peu de temps. Ah!

Se souvenant du poids dans son dos elle retire le sac à dos où elle avait mis quelques affaires; elle en tire une peluche abîmée qu’elle pose à côté de Corneille -et qui ne tarde pas à la prendre contre lui- ainsi que certaines affaires et de quoi les faire tenir une journée sans faire dépenser Nevada. Elle finit par en sortir son sac à main et dépose le sac près de l’aménagement avant de se relever pour rejoindre son hôte en cuisine.

J’ai ramené leurs affaires. Merci encore, tu me sauves la vie.

C’était sûrement un peu exagéré, mais après tout, Babylone ne tenait pas vraiment à grand chose en dehors de ses chiens.

Nevada lui sourit alors Babylone en laisse un se dessiner sur ses propres lèvres, plus détendue une fois assise dans la cuisine. De là, elle ne paraissait plus aussi grande et majestueuse, attendant sagement les chevilles croisées. La tasse arrive et elle l’attrape à mi-chemin, prenant un morceau de sucre pendant qu’elle y était après l’invitation.
Le silence est tranquille pendant qu’elle touille doucement, les yeux rivés sur son café et les oreilles dans la pièce d’à côté où ses chiens ont l’air de se tenir tranquille; jusqu’à ce que Bernie ne décide de s’aventurer dans la cuisine, curieux et la queue agitée. Elle lève les yeux à la question de Nevada, réfléchissant un instant à son emploi du temps.

Vers cinq heure trente, mais il y a moyen que je puisse me libérer un peu plus tôt. Je te dirais si les horaires changent trop mais il ne devrait pas y avoir de soucis.

Elle n’était pas censée avoir trop de problèmes d’horaires ou d’heures supplémentaires, mais dans le domaine médical, n’importe quel corps de métier pouvait être touché par un imprévu. Après un petit instant de silence, elle boit deux gorgées de son café avant de poser à nouveau son regard sur elle.

J’imagine que tu ne pourras pas passer à l’hôpital du coup.

Elle se penche pour gratter doucement sous l’oreille du petit chien qui traînait autour d’elle.

Je peux demander aux médecins des nouvelles de ton frère si tu veux. Ils devraient être dans le coin aujourd’hui.

Elle avait une journée chargée de réunions et de dossiers, alors elle pourrait sûrement les croiser aux détours de couloirs pour leur poser quelques questions si l’occasion se présentait.
Elle pouvait au moins faire ça pour elle si elle gardait ses chiens, et ça ne lui posait pas de soucis.

Un trémolo dans sa voix et Babylone sait bien qu’il y a un mensonge dans ses paroles. Un espoir désespéré caché par une fausse assurance, mais Babylone n’en fit rien et se laisse distraire par son café. Ses angoisses n’étaient pas ses affaires, et même si elle appreçiait la jeune femme, elle n’était pas là pour la rassurer avec des mensonges.
C’était vrai.
Il y avait peu de chances pour un réveil aujourd’hui.
Et quand bien même, ce n’était pas Babylone chargée d’annoncer les nouvelles.
Alors Babylone maladroite se contente d’attraper la perche tendue et hoche la tête à sa remarque, les yeux baissés vers le liquide à moitié fini.

Dix-neuf heure. Je devrais être rentrée bien avant, pas de problèmes.

Un imprévu durait rarement plus d’une heure, de toutes manières.
Le silence se fait long, uniquement interrompu par les faibles aboiements dans la pièce à côté et le son de la queue de Bernie contre le carrelage. Débattant de s’il était temps de partir ou de rester, elle finit par lever les yeux vers Nevada, les pensées envolées sur l’hôpital et le ton fataliste un peu plus tôt.

Tu sais...

Elle hésite, mal à l’aise, les sourcils froncés, avant de continuer.

On a régulièrement des patients qui sortent du coma. C’est difficile sur la durée, mais pas impossible.

Des paroles professionnelles qu’elle avait appris à répéter machinalement aux familles des patients mais qui n’en était pas moins véridiques. Les ongles tapotant contre la table avant qu’elle ne hausse les épaules, le regard vague.

En attendant, c’est bien de venir lui parler régulièrement. Il t’entend.

Un rire léger s’échappe de ses lèvres étirées à sa remarque et elle finit d’une traite le café, savourant l’amertume avant de reposer la tasse. A la mention de l’heure elle jete un coup d’oeil à son portable avec un mmh de confirmation. Elle sourit en lui laissant sa tasse vide et se lève, contournant Bernie qui la suit gaiement jusqu’au salon.

Je te fais confiance pour ça.

S'accroupit une dernière fois pour dire au revoir à ses chiens avec un baiser sur le front, avant de reprendre son sac et se diriger vers l’entrée. Le hall, la porte.
Elle se retourne vers Nevada avec un hochement de tête.

Merci encore. N’hésite pas à me contacter s’il y a un problème, comme d’habitude. A ce soir et bonne journée.

Elle lève la main autant pour elle que pour les petites boules de poils qui la regardaient derrière les jambes de la demoiselle avant de tourner les talons vers les escaliers, le clac de la porte en accord avec ses talons.