Calla-Lily, miraculée survivante du naufrage, Rose du XXI siècle, même si t’étais pas une lumière, t’avais compris que tôt ou tard on te mettrait la corde au cou, pour t’enchainer ou te pendre, ou les deux. Alors entre les roublards (Cobras), les illuminés (Panthers) et les givrés (Crows), t’avais vite fait ton choix.
Tu n’aurais jamais survécu chez les Cobras, Calla et l’idéologie des Panthers ne t’avait jamais attiré – même si tu leur donnais une mention spéciale pour leur women power –, une vie sans gangs et puis quoi encore ? Une Ellipse ouverte au monde ? Non, non, ils n’étaient pas pour toi. Toi, tu préférais l’atypie des paons funestes, leur éclatant fracas et leur esprit de famille qu’on prisait. Si tu n’étais pas née Dragon, tu aurais surement été corbeau.
Oui, d’entre eux tous, les Crows te semblaient le moins pire des pires choix – vu tes circonstances.
Quitte à porter une chaine, autant que tu en choisisses le modèle et le propriétaire, hein ?



C’est le déluge, l’apocalypse.
Bain de sang et de verres.
Antoinette, cours de tout ton saoul !
Cours, cours, cours. Loin de tout ça.
Avec tes jambes d’athlète, propulse-toi sur le béton, vite, plus vite et encore plus vite.
Antoinette, avec ton endurance d’étoile, supporte les douleurs de tes muscles fatigués.
Antoinette, avec ton cœur d’artichaut, retiens tes larmes de toutes tes forces.
Cheveux enchevêtrés et visage rougie, tu as peur. Petite princesse à qui on n’a pas coupé la tête. Tu as très peur. Petite princesse qui vient d’échapper à la guillotine de justesse.


« Je veux la tenir, je veux la tenir…Je veux la tenir moi auuuussiiiiii !!! ».
Les cries du second enfant se font entendre dans toute la demeure.
Assis ensemble dans le salon, doucement, ta mère te confie à l’ainé, qui en mourrait d’impatience alors que ton second frère proteste. Cela ne fait pas longtemps que le couple était rentré avec toi, dernière-née précieusement couverte, gazouillant dans les bras de ta mère. Calla-Lily Lucille Athanasia Antoinette ; âgée d’à peine quelques heures et déjà que tu mènes cette famille par le bout du nez. Faut-il s’en étonner ? Tout le monde sait à quel point tu étais attendue, tout le monde sait à quel point tes parents désiraient avoir une fille. C’est un rêve devenu réalité.
Tu es la consécration de tous leurs dessins et pour célébrer cela, tout le monde avait participé avec un prénom pour la nomination.

Spoiler:

Tu passes entre les mains d’Anatoly. De ses jeunes bras, il te tient fort, comme si tu étais le monde et que la moindre secousse risquerait de t’oblitérer. Les jumeaux eux, te servent de lunes, ancrent ton orbite en tenant chacun une de tes mains.
A vous voir comme ça, personne ne croirait que chaque placard abrite des squelettes.    


« Papa ! ».
« Pas maintenant, je suis occupé ! ».
« Papaaaaa ! ».
« Les jumeaux, j’ai dit pas maintenant ! ». Gronde-t-il de sa voix grave, tel le tonnerre qui éclate. Voix qu’il avait léguée à Anastas.
Les réponses sont machinales, nul besoin de perdre du temps, lever la tête. La paperasse est importante et doit être finie pour permettre une mission sans accrocs pour les Dragons.

« Paaaappppaaaaaa ! ». Cette fois, c’est ta voix qui s’ajoute et s’immisce au lot. Elle le fait tiquer. Elle n’est pas différente, mais n’est pas semblable non plus. Elle est juste. Autre.
Autre, comme un cri de chat trop haut perché. Il lève la tête, sans savoir ce qui l’attend.
« Alexander, Alexei… » Qu’il commence en nommant les jumeaux. « Wow, il y a un troisième. J’crois que la fatigue me monte à la tête ». Conclut-il incrédule. Tu leur ressembles, c’est vrai, mais pas parfaitement non plus. Tu es Autre. Toujours et encore. Mais les jumeaux pensent autrement, et s’empressent de disperser le malentendu pensant que sans eux, leur père serait perdu.
« Calla », commence Alexander, « Lily », termine Alexei.
« Calla-Lily », qu’ils reprennent en chœur, te pointant des doigts tel un maître de cirque présentant ses bêtes de foires.  
Sur le visage de ton père, le choc et l’intérêt se peignent en part égales. Très rapidement, la réalisation de l’utilité d’un tel don se fait. La grandeur, la vraie – pas celle commune de tes bons résultats à l’école ou au sport –, t’ouvrait ses portes pour la première fois, Calla-Lily.


Tu montes et la voiture démarre de suite sans attendre son reste.
« Alors ? », questionne le conducteur, ton ami William et partenaire.
Sans répondre, tu sors les documents du contrat que tu avais habillement échangé. « Avec cette apparence-là ? C’était un jeu d’enfant ! », tu ponctues ta tirade avec un sourire victorieux et Will jurerait que tu pourrais conquérir le monde à cet instant si tu le voulais.

Comme à leur habitude, les Dragons t’avaient confié une mission qui tirait pleinement partie de ton don et ta mémoire. Tant que tu étais crédible – et que tu ne partais pas en freestyle – tout se passait toujours sans problèmes, certes il y avait eu des instances où quelques soucis s’étaient montrés mais rien qui ne pouvait être réglé par une habille proposition de fonds, un malencontreux accident ou un pistolet sur la tempe.

« Quand on aura fini, ça te dit de faire les courses pour Halloween avec moi ? J’aurai 45 min de libre avant le début de l’émission où je suis invitée ».
« Calla-Lily, on est en Juillet ! ».
« Et ? »
« Il reste trois mois pour Halloween ».
« Premièrement, l’un n’empêche pas l’autre. Deuxièmement, Halloween est un mode de vie et non une simple fête. HALLOWEEN C’EST TOUTE L’ANNEE !!! Sinon tu crois que tu peux attendre la fin du tournage et me déposer pour mon entrainement ? ».
« T’as toujours un emploi du temps de ministre à ce que je vois ».
« Que veux-tu, c’est ça être talentueuse ». Que tu réponds d’un faux air hautin.
Vous éclatez de rire et le trajet continu sans encombre. Sortant ton pc du sac à dos pour finir ta fiche de personnage pour ta nouvelle compagne de D&D, tu te sens étrangement de merveilleuse humeur, en effet, c’est le 9 Juillet, et comme à ton accoutumée, tu te dis que ça allait être une incroyable journée parce que rien de mauvais ne pouvait t’arriver en une date qui porte un de tes chiffres porte bonheur – les autres étant le 1, le 3, le 7 et le 13.

Tu ne le sais pas encore, mais l’univers ricane de ta naïveté enfantine.
Incroyable ? Pour sûr. Rien de mauvais ? Bien sûr, vu que ce qui va suivre relève plus de l’horreur que du mauvais.

Les explosions se déclenchent alors que vous êtes à deux pas du quartier général. Sans savoir pourquoi, tu demandes à ton compagnon de changer de direction. Il faut que tu rentres chez toi, c’est une envie viscéral, animal, instinctif, call it what you want ; tu ne peux pas lutter.
Il faut que tu y ailles, qu’on te hurle dans ta tête.
Il faut que tu y ailles.
Il faut que tu y ailles.  


Antoinette, tremblotante et terrifiée, tu tapes à la porte de l’appartement miteux de toutes tes forces. Tu tapes et tapes et tapes comme si ta vie en dépend. Et c’est le cas. Blessée, amochée, maculée du sang de ton ami, tu es au bord du pétage de plombs sévère. Ouvre-toi, ouvre-toi, ouvre-toi, que tu hurles en ton fort intérieur.
Si tu continues, tu vas ameuter tous les voisins, Lucille.

La porte s’ouvre et un seul coup d’œil des jeunes hommes sur ta mine au bord du malaise, fait qu’ils te font rentrer sans mots dire. Tu t’affales dans les bras d’Axel avec le désespoir d’un navire échoué, fragile et si pesante. Tu pleures, hurles, le serres aussi fort que tu peux, car aussi incongru que cela pouvait être, il est ton dernier rempart contre la folie en ce moment. Doucement, il te conduit vers le canapé, t’enlève ta veste carmine et ton sac à dos – tu ne te souviens même pas de l’avoir pris – et te laisse te déverser comme une rivière sortit de son lit.

Ethan, de son côté, ferme la porte à double tour, tire les rideaux et allume la télé avec le volume à fond pour couvrir tout ce raffut. Et quel ne fut pas leur surprise lorsqu’ils aperçoivent l’inondation d’informations marquées du logo « urgence » en surbrillance rouge. Partout où il change de chaine, les mêmes images et paroles reviennent en boucle. Ils comprennent, ils ont toujours été très intelligents. « Tout le monde…Tout le monde…Ma famille…Tous…J’crois…J’crois …Qu’ils ont pas pu…J’crois qu’ils sont…Tous…Je crois…Je sais pas… Je sais pas…On … On nous a trahi ». Tu hoquettes, articules difficilement des bouts de mots, des bouts de phrases, entre deux sanglots.

Les Van Der Bilt ne sont plus. L’empire vient de s’écrouler avec la facilité déconcertante d’un château de carte soufflé par le vent.
Le dragon est mort et l’hydre vient de prendre sa place.

Mais l’horreur ne s’arrête pas ici, il y a pire.« Will…Will il est….Pour moi…. Par ma faute…Will est… ». Tu veux hurler. De ce hurlement que seuls les animaux pris au piège, au bout du gouffre, qui n’ont d’autres issus que de détruire tout ce qui se trouve sur leur passage quitte à se blesser eux-mêmes, font. Et tu le fais, bouche contre son torse, tu hurles, hurles, hurles parce que ton âme est en peine et tu n’es pas sûre si jamais le gouffre qui venait de s’ouvrir en toi allait se refermer un jour. Pour seul réponse, Axel caresse tes cheveux, ton dos, te sers tout aussi fort dans ses bras et essaie de te calmer, toi animal sauvage blessé se débattant dans son enclos, empêchant toute tentative d’approche et d’apport de soin.
« Ça va aller, ça va aller, ça va aller ». Menteur, mais que peut-il dire d’autre ?  


Tu fais glisser la clé tout doucement et sans faire de bruit pénètre dans l’appartement. La télé allumée diffuse pour un spectateur endormi, tu ne le sais pas, mais depuis que tu as disparu, Axel et Ethan se relayent pour te chercher, ce soir, il est de garde alors qu’Ethan fouille chaque recoin de la ville. T’approchant de lui, tu tapotes sa joue. « Wakey, wakey, Samouraï ». Le poing fuse avant que tu ne dises quoique ce soit. Tu l’évites de justesse en hurlant un : « C’est moi, c’est moi », en t’empressant d’enlever ton masque.
« What the ? Will ? Non … Tu lui ressembles, mais t’es pas lui. T’es qui ? ». La menace se fait claire dans sa voix. De suite, il se prépare à cogner de nouveau.

Comme quand tu étais enfant, quand tu recopiais les gens et apprenais à maîtriser ton don, ton apparence est Autre. C’est Will sans être Will. La corpulence et la taille sont bonnes, mais les traits du visage sont différents, de cette différence entre croquis et dessin fini. Cheveux roses (il disait toujours qu’il allait les teindre comme ça) et yeux gris (il préférait le gris de tes yeux au bleu des siens), on pourrait croire que tu es son frère, son cousin, plutôt que lui. Sans répondre, tu reprends ton apparence originelle.
« Athanasia ! T’étais où putain ? Ça fait une semaine qu’on te cherche partout ! Bordel t’es inconsciente ou quoi ? Disparaître comme ça dans ces circonstances …».
« J’ai pris une décision ! », que tu le coupes dans son sermon.
« T’as décidé de me faire faire un infarctus ou un AVC, oui ».
« J’ai rejoint les Crows ».
« Ouais qu’est-ce que je disais ».
« Mais ils sont sympas mec ! Ils m’ont aidé à récupérer ma moto et m’ont dégoté des papiers pour une fausse identité ! ».

Maintenant, tu es Styx Erebus. Tu es comme un fleuve, qu’il t’avait dit, tu t’en rappelles comme si c’était hier, la chaleur de son câlin, les constellations dans ces yeux, la douceur de sa voix et la fraicheur de la bière partagée sur le toit.
Oui, tu es comme un fleuve Athanasia.
Le fleuve des enfers.

« J’en peux plus de toi…Tu viens tout juste de survivre à une mise à mort de ton propre gang et déjà que tu replonges dans un autre. T’es inconsciente ou stupide ou les deux ? Et c’est quoi cette apparence putain ?! ». Il est indigné et il y a de quoi. Mais tu ne réponds pas parce qu’il n’y a rien à répondre, te contentant de hocher les épaules et de le laisser parler, parler, parler.
Épuisé par cette discussion qui tourne en rond autant que par ses nuits blanches, Axel se tait. Enfin.

« Bah, j’sais pas, il me fallait une apparence pour sortir et voilà….Bon, c’est pas tout, mais on a un appartement à braquer, Samouraï. Appelle Ethan ».
Tu dois récupérer des affaires de chez William.