le devil club portait bien son nom, épicentre de la nuit, planète reine de son propre système; la boite accueillait des ringards, des moches, des riches, n’importe qui qui voulait bien laisser tomber son éthique en passant les vigiles et atteignant le seuil de ses portes.

n’importe qui en entrant ici, laissait ses rêves et son honnêteté à l’entrée; si ashley avait déposé ses valises remplies de franchise et de morale, c’était pour ne pas avoir à systématiquement vivre au crochet de son propre gang.

(elle répondrait sans doute que c'est justement parce que c'est sa famille qu'elle ne veut pas devenir un poids pour ces derniers; la vérité serait plutôt qu'elle a juste trop de fierté pour constamment quémander.)

c’est donc une fois ses idéologies abandonnées sur le bas côté qu’elle déambulait dans les coulisses, se changeait pour montrer un peu plus de sa chair, enfilait ses talons et puis prenait la place d’une autre fille qui s’en allait.

si ashley n’était pas sincère, la danse, elle, ne ment jamais.

elle n’avait regardé personne, personne jusqu’à la fin, jusqu’au moment de descendre avec n’importe qui qui demanderait une danse pour lui seul (elle n’allait jamais plus loin, parce que si elle acceptait de mettre beaucoup de côté en venant ici, elle ne restait que danseuse et pas autre chose.)

ce soir, ce lui avait les cheveux longs et s'appelait Magdalene.

un merci. suivi très près d’un Ashley.

qu’elle répondait en prenant la main qu’on lui tendait.

que puis-je faire pour vous ?

regard interrogateur, ashley scrute les alentours pour s’assurer rapidement que rien de désagréable ne l’attend : pas de mecs étranges dans un périmètre proche, juste magdalene et elle s’installant à la place que mag avait prise auparavant.

silencieuse pendant que magdalene parle, elle remercie d’un hochement de tête lorsqu’on lui sert son verre; le prend dans sa main et n’en prend qu’une gorgée avant de le reposer, puis plante son regard droit dans celui de son interlocutrice.

ils s’en sont plaints ?

elle pense à son propre corps marqué, cicatrices invisibles à l’oeil nu parce qu’elle s’applique à ce que ces parties soient toujours cachées (elle se demande si ton propre corps a été marqué, magdalene).

elle hausse les épaules — qu’importe qu’ils s’en soient plaints, ça ne change rien au fait que pour ashley, c’était mérité.

(à se demander qui est le plus chien des deux, ashley qui mord ou ces hommes qui pensaient pouvoir poser ses mains sur elle)

c’est en tourant son regard vers les autres danseuses qu’elle répond;

ils se sont approchés trop près.

ni plus ni moins, une vérité banale et qui semble fade dit comme ça. sans doute qu’eux répondraient que la vérité d’ashley n’est pas universelle, ce qui serait aussi : vrai. une pièce possède deux faces, comme chaque histoire.

cela dit, ash n’a jamais marqué une femme, aussi proche pouvait-elle être. peut-être y’a-t’il une question de principe dans l’air (ou pas)(elle n’en sait rien.)

ils veulent se venger ?

qu’elle demande avec la plus grande innocence du monde; parce que pour mademoiselle sloane, il n’y a plus naturel qu’avoir l’âme vengeresse.

c’est un rire qui s’échappe d’ash; il s’échappe dans les airs et les lumières, presque inaudible pour celles et ceux qui ne se trouvent pas assis auprès de mag et d’elle,

elle rit parce que c’est vrai, c’est évident qu’ils s’en sont plaints. c’est pas parce qu’ashley subit la douleur en silence que tout le monde est apte à le faire (surtout pas ces chiens-là, qui ne savent qu’aboyer pour pleurer et rien d’autre).

toujours les mêmes mecs,
toujours les mêmes façons de faire.
être blessé, et se plaindre à la première femme qu’ils vont croiser.

elle s’étonne, quand on lui dit qu’elle a raison. son regard se tourne vers mag et un sourcil s’arque. c’est qu’on avait jamais approuvé sa façon de faire, d’aussi loin qu’elle se souvienne (ça avait souvent été le contraire, seule lagertha avait vu cet acte d’un oeil bienveillant, mais la liste des soutiens d’ashley s’arrêtait là).

elle s’étonne et garde le silence lorsque la question de trop est posée. est-ce qu’elle-même connait la réponse ? (certainement pas complètement.). le regard se plonge vers son propre verre.

pourquoi est-ce que je le fais ?
pour l’argent, c’est évident.
pour être regardée ?
c’est peut-être aussi une autre part de la vérité.

sans doute parce que c'est ce que je sais faire de mieux.

parce qu'il n'y a de cadre plus rassurant que celui qu'on connait par coeur. il n'y a de cadre plus rassurant que le mensonge quand on naît dedans. aussi malsain que l'environnement est, c'est celui qu'ash connait.

les environnements et comportements malsains font partie du contrat qu'ash a signé quand elle a décidé de prendre sa liberté. alors elle s'y adapte, parce que partir d'ici voudrait dire chercher un autre endroit. et chercher un autre endroit voudrait dire de nouveaux codes, codes que l'on ne connait pas.

et pour l'argent, aussi.

des éclats de vérités en ces lieux mensongers.

qu’est-ce qu’elle veut, à quoi elle joue, pour qui est-ce qu’elle se prend — c’est un flot de pensées qui traverse ashley instinctivement, parce que c’est pas tous les jours qu’on vient à sa rencontrer pour lui poser ce genre de questions.

pourquoi ça t’intéresse ?

vouvoiement jeté parmi les ordures de ses pensées, parce qu’on a réalisé que magdalene n’était pas cliente, alors on peut se relâcher légèrement sur les convenances et être d’autant plus méfiante.

t’es payée pour me poser toutes ces questions ?

parce que tu devrais;
ash n’est pas la plus sympa. ni bienveillante, ni patiente, elle se contente de vivre au gré de ses émotions et sentiments; et pour l’instant, elle n’a pas confiance.

mais, elle apprécie l'honnêteté.
c'est en disant la vérité qu'on gagne avec ashley.

c'est quoi, c'est que tu me vois comme un pauvre petit oiseau enfermé dans une cage et que tu t'es dit que tu allais m'en sortir ?

si les mots peuvent sembler agressifs, son ton ne l'est pas. ashley n'est que neutre, habituée à poser les mots directement et calmement; aussi impulsive soit-elle, elle s'interdit de déborder avec magdalene.

c'est que tu t'y reconnais ?

qu'elle soufflera plus doucement, pour montrer qu'elle ne compte pas être plus hostile qu'on le croirait.

le sourire se marque quand magdalene sourit (ça lui fait du bien, à ash). son sourire est communicatif, c'est indéniable — et appréciable.

et exactement comme elle le devait, elle ne ment pas. c'est confortable, la vérité, on n'a pas besoin de s'y cacher.

merci pour ta sincérité.

parce que même si l'honnêteté est confortable, il n'est pas évident pour tout le monde d'être franc avec les autres (tout comme avec eux-même).

ash se surprend à penser que
elle est étonnante, mag.
et que malgré tout, on reste assise à ses côtés.

je ne t'en veux pas. je suis très mal placée pour te juger sur ça.

mag la sainte,
ashley la juge.
toutes les deux mal placées pour se cataloguer,
mais bien placées pour se comprendre.

tu es spontanée et surprenante.

c'est ce qu'elle lui dit le plus naturellement du monde, comme si elle posait un fait scientifique et avéré dont personne ne peut douter.

ça t'arrive souvent, d'aller à la rencontre de femmes pour poser des questions et voir ce que tu peux faire pour elles ? c'est pas très commun comme comportement.

et ça en dit long.
tout comme le fait qu'ash ne la lâche pas du regard une seule seconde.

c’est insolent, de retourner ses propres questions contre elle — mais elle ne le déteste pas. le confort d’ashley se trouve entre la franchise et l’insolence (deux concepts casse-gueule qui lui conviennent à merveille).

tout s’explique. qu’elle répond quand mag lui raconte que c’est grosso modo son métier de poser des questions; elle ajoute ça te va bien. puis elle suit et reprend elle-même un verre pour accompagner sa binôme, écoutant attentivement toutes les parcelles qu’elle livre d’elle.

laisse même un rire s’échapper quand le bilan est fait.

c’est indéniable, j'aime beaucoup ce constat.

l’une brûle,
l’autre demande.

et c’est instinctivement qu’ashley serre la main et se lève, l’action étant la meilleure des réponses. au final, c’est presque qu’ash tirerait mag jusqu’au centre du bar.

(parce que la danse est sa maison la plus sûre,
jusqu’au jour où quelqu’un pensera à la poignarder pendant qu’elle y est.)

rare sont les femmes avec qui ashley danse
(trop habituée aux loups)
et pourtant ce sont ses moments préférés.

aucun doute sur le fait qu'elle les aime,
et que ça se voit à sa façon de dévorer mag.
(enivrée par le moment présent et son aura.)

plus de méfiance, plus de questions, plus de clients, plus personne si ce n’est que magdalene et ashley.

et elle s’était décidée.

parce que rien ne dure jamais, parce que l’alcool est bon, parce que magdalene est superbe, ashley s’était rapprochée.

elle avait souri à la remarque de mag, et en se rapprochant lui avait pris doucement le bras. on aurait pu croire qu’elle allait le faire, la marquer, mais à la place elle avait déposé un vif baisé sur son avant-bras.

peut-être que le corps de mag avait été marqué et embrassé de bien des manières, mais ash s’en fichait. elle avait décidé de ne penser à rien et de profiter de l’instant présent, dansant au plus près de la beauté qui l’accompagnait.

et de chérir ces moments.
de chérir la spontanéité, la sincérité, la beauté.

t'es pas mal toi non plus !

qu'elle lui avait répondu, tout en continuant de la garder au plus proche d'elle.

elle avait décidé que, si elle marquait magdalene,
elle se laisserait marquer en retour
(qu’importe la façon).