Dans les lumières rouges, Jule aurait pu se fondre, disparaître dans les murs. Mais ça n'était jamais le cas. Juliet était brillante, une lumière à elle-seule quand elle approche, panthère jusque dans la démarche. Lagertha en avait l'habitude, servait les verres dès qu'elle entendait le bruit familier du trench grinçant. Comme si la journée ne commençait qu'à ce son là, comme si c'était là la sonnette d'alarme qui laissait la glace fondre à chaque fois.

Le menton appuyé dans la main, Lagertha observait Jule avec ces yeux durs et pourtant si tendres face à elle. Aussi noir soit-il, le regard ne serait jamais violent sur la jeune femme, peut-être même que si elle l'a trahissait, elle hésiterait à la tuer. Et en réponse à ses mots, un simple sourire pour craqueler la statue.

– Tu n'as jamais besoin d'une ouverture, officielle ou officieuse, pour entrer ici, Jule.

Toujours, cette étincelle dans le regard, celle que les rares personnes comme Juliet pouvait éveiller dans la pupille sombre.
Lagertha l'observait boire avec tant de dévotion à une signification que la femme ne savait pas. C’était curieux, cet attachement qui se manifestait si facilement. Là, face à la jeune femme, Lagertha se perdait en observation, détaillait la chevelure sombre, le visage où un sourcil se haussa à lui en faire doucement rire. C’était que ce soir, Lagertha était un peu nostalgique. Alors une main doucement caressa la tête, avec cette affection maladroite de ceux qui ne savaient pas comment donner.

– On peut dire que tu avais loupé ton coup au départ. Quelle idée de m’approcher moi…

La froide, l’aride cheffe de milice. Celle qui ne jetait que des regards glacés et ne disait jamais un mot doux. Il n’y avait point de sourire à l’époque. Lagertha regardait Jule comme elle regardait le monde : avec des billes sans vie, seulement pleine de rage.
Désormais, Lagertha ne pouvait retenir un rictus à l’idée même de Jule. C’était une brise chaleureuse dans sa vie.
Pourtant, elle avait mit du temps à comprendre l’admiration, elle ne la comprenait toujours pas, cette admiration pour tout ce sang sur les mains. Mais elle savait la colère. Cette immense colère qui grondait sous l’épiderme, si familière à son coeur.
Et ça, Lagertha ne pouvait jamais s’y opposer. C’était trop grand, trop lourd sur leurs épaules pour être ignoré. Jule avait des ambitions, des valeurs pour lesquels elle était prête à tout.



Elle ne le savait pas Lagertha, elle n’avait aucunement de réponses et personne ne savait qu’il y avait même cette question qui s’offrait à elle. Elle n’avait que cette douleur dans la poitrine, la hantise de ce sang répandu, la mort au bout des doigts pour seule compagne car que pourrait-elle faire d’autre ? Lagertha avait juste appris à continuer, laisser exploser la rage quand bien même tout semblait vain et sale. Après tout, il était trop tard pour revenir en arrière.
Et pour cette raison, Lagertha n’aurait jamais aimé recruter Jule. Elle ne l’aurait jamais recrutée si elle n’était pas venue avec cette conviction, ce désespoir dans les yeux. Car elle ne souhaitait à personne toute cette crasse sur la peau.
Mais soit, elle avait faibli (ou avait-elle été forte en noyant la culpabilité ?) et Jule avait fini par devenir si importante.
Un soupire et Lagertha descendit à nouveau un shot. Elle aurait pu en descendre encore le double sans être ivre morte mais ces aigreurs avaient le don d’apaiser le coeur, encore plus avec Jule à ses côtés. Elle avait écouté Juliet parlait sans un mot, avec ce regard qui disait juste “tu m’as pendue à tes mots, toujours”. Quand elle se tût, Lagertha ne parla pas plus. Elle avait eu cette nostalgie dans le regard, cette douceur aux souvenirs quand le doigt accrochait sur le bord du verre qu’elle caressait. Il y avait Jule si déterminée, Jule qui se battait, Jule qui riait, Jule chez elle, Jule partout. Elle s’était immiscée dans sa vie sans même que la blonde ne s’en rende compte. Il y avait même ces moments où Lagertha avait eu envie de lui tordre le cou. Un fin sourire aux lèvres, les pupilles se posèrent à nouveau sur l’amie.

– J’aurais pu. Mais je ne regrette pas mes décisions. Je t’avais déjà intégrée, je ne pouvais pas faire retour-arrière.

On ne pouvait jamais vraiment retourner en arrière. Le rictus s’étira quand la main tapota doucement celle de Jule.

– Je regrette juste la paix de mon appartement et mes factures d’eau moins élevées..

On ne regrettait rien, on aimait. On aimait fort, si fort cette présence et égoïstement, Lagertha était heureuse du mauvais chemin pris par Jule, heureuse de ses convictions si fortes, qu’importe la violence qu’elles y mettaient.