Jule tu t’es toujours encanaillée. Jamais assez pour vraiment t’extorquer aux lois de la ville. Faire partie d’un gang.
Tu ne t’es retrouvée nulle part. Tout te semblait bidon, sans fond. Si creux. Si masculin. Une véritable horreur, un bain de sang mêlant des virilités fragilisées, des ego maltraités, une puanteur digne d’une carcasse en plein soleil.
Plutôt que de faire parti des charognards, tu t’es dis que tu avais un peu d’amour propre. Les Panthers sont arrivés, ils t’ont soufflés. C’était ça que tu voulais. De l’insolence, de la violence. Arracher aux autres ce qu’ils pensaient acquis. Devenir leurs reflets, les imiter, pour mieux les enguirlander. Il y a dans ta décision - et tu le sais -, beaucoup d’arrogance. Tu as pensé à Bianca, à ce que tu pouvais apporter. Si pour les autres, tu n’étais pas prête à faire la courte échelle parmi une hiérarchie débraillée, pour eux, tu n’a pas hésité.
Prenez-moi, tu leur as dit. Si je ne suis pas votre meilleur atout, je serais leur pire ennemie. Dans les deux cas, vous êtes gagnants et moi, au firmament.
Tu penses souvent à ta tante, à la clé de bras qu'elle te donnerait. Dans ta tête, tu t'inventes des moments où elle est clairvoyante et où vous échangez. Doucement puis violemment, sur vos opinions diamétralement opposés. Et tu t'imagines lui dire à quel point elle se trompe, que tu fais ça en son nom. Tu voudrais qu'elle sache qu'elle a élevée une hyène, une charognarde prête à faire siffler sur le macadam.


d i x a n s
« J’en peux plus. »
Dans un couloir clairsemé, tu entends des hoquettements retenus, essoufflées, de cette figure d’autorité. L’entrebâillement de la porte ne dévoile que peu de la situation exacerbée. Elle est là, ses cheveux trempés retombant sur ses épaules nouées, le coin des yeux humidifiés par les larmes qu’elle a tentée de disséminer de par ses poignets.
Ta tante était policière. Elle avait cru pouvoir donner, sans demander ni son reste, ni retours, faire un peu évoluer cette situation galvaudée.
Ralentir le rythme effréné à la violence, faire preuve d’un peu de clémence.
Mais elle comme beaucoup d’autres avant elles, avait échoué.
Toi tu n’avais ressenti que son aura désespérée dans la faible fenêtre qui t’étais accordée.

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d i x - s e p t a n s
Un âge ingrat pour vivre au milieu de scélérats. Tu étais persuadée que jamais tu ne te découvrirais de don approprié. Quand la plupart s’était fait la main, tu restais là à les envier. Aucun stimulus, rien ne s’était éveillé.
Face à toi, il y avait cette personne, à qui tu n’osais dire qu’elle te plaisait. Ce type de première amourette qui vous tourne en girouette. Le jour où tu l’as décidé, de tout délivrer, te dévoiler, que les choses sont allées en ton sens, que tu as cru pouvoir effleurer ce dont tu rêvais… il s’est déclaré. Ton don. Tu l’as flashé au lieu de te déclarer.
C’est le type d’histoire qu’on te rabâche encore aujourd’hui.


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p r é s e n t
« Lève- Lève les bras. Aller, comme ça. Bianca c’est toi l’adulte je te rappelle, viens on fait un effort, ensemble. »
Il y a une petite pensée laide au fond de toi. Celle qui est heureuse de ne pas devoir expliquer à cette femme intelligente ce que tu es devenu. La dégénérescence l’a frappée avant ta réalité. Il y a de ça quelques années, son flair t’aurais épinglée.
Oh et tu sais, Jule. Tu sais à quel point elle aurait été déçue de te savoir mêlée à tout ça.
Posées sur le canapé, tu la regardes endormie. Il y a quelque chose de cruel dans cette situation. Si tu savais qu’un jour tu lui rendrais la pareille, tu t’attendais cependant à autre chose.
Un cliché fantasmé où tu aurais été respectable, le bord des yeux ridés. Et que vous auriez pu rire ensemble du passé.
Doux amer, tu sais qu’elle oublie, toujours un peu plus, que tu as de la chance d’être encore reconnue mais que ça ne durera pas. Dans peu de temps, elle t’oubliera.