Les gouttes de l'évier s'écoulaient au rythme silencieux des pas d'Ange sur le pavé. Les cuisines étaient silencieuses, ou presque, car il restait là, à astiquer le four, à nettoyer le sol, à s'assurer que demain, tout serait encore fonctionnel et prêt. Il avait renvoyé tout le monde chez soi (personne n'avait osé le contredire, car son humeur maussade avait fait peur à tout le personnel, eux tant habitués à un ange posé), avait attrapé éponges et serpillières et s'était mis au travail. A astiquer. A grommeler (contre Echo). A marmonner dans sa barbe.

Si bien qu'il n'en avait pas entendu les bruits étranges pas si éloignés, en avait relevé la tête une fois certain de ne pas avoir halluciné. Et contourne le comptoir, là, pour tomber sur un fouineur. Dans sa propre cuisine. Si ce n'était pas la cerise sur le gâteau, qu'est-ce que cela pouvait bien être? C'est que sur le coup de l'impulsion et de la colère, Ange ne fait rien d'autre que de se racler la gorge en regardant très mal l'inconnu, bras croisés (et serpillière toujours dans la main). Peut-être qu'il aurait dû l'empêcher de bouger tout de suite, car aussitôt est-il repéré que l'intrus prend encore plus contre son torse et se rue vers la sortie (et Ange le poursuit bien sûr parce qu'on ne le vole pas comme ça). Il a presque le réflexe d'utiliser son pouvoir, de faire sortir les os, de plaquer l'inconnu au mur pour récupérer tout mais.
Les cris et les regards noirs d'Echo lui reviennent
(et il ne veut plus avoir à le faire, maintenant,
à abattre le poing,
à tuer pour l'instant, décapiter pour les beaux yeux d'une sœur qui serait prêt à le voir
crever
pour des ambitions qui sauraient attendre).

Alors lorsque finalement il attrape l'individu par le col, il ne s'attend pas à sentir une lame contre sa peau (d'où est-ce qu'il sort ça?). Et ça fait reculer, sursauter, observer le bras en sang puis la jambe bientôt dans le même état. Et il aurait pu continuer à le courser (parce que honnêtement il est habitué à la douleur depuis le temps), mais abandonne.
Baisse les bras, par fatigue
(las).
Et c'est quand il veut rentrer, faire demi-tour, que finalement sa jambe manifeste une once de douleur, ce qui le fait grogner et regarder le tablier et le jean découpés.

« Bordel. »

Il est pas trop en bon état, à boîter. En plein milieu de la rue (et la porte arrière de son restaurant encore ouverte). Alors il s'assoit un instant pour reprendre ses esprits, sur le goudron des rues vides de vies. Qu'est-ce qui lui arrive pour être aussi faible, aujourd'hui, hm?
(ce n'est sûrement pas cette colère entretenue toute la journée qui lui fait tourner la tête, si?)

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La mauvaise humeur lui avait soufflé d'envoyer chier le pauvre inconnu qui avait osé se présenter à lui en pleine rue (qui aurait le bon sens d'adresser la parole à un gars ensanglanté qui s'était assit en plein milieu d'une route où une voiture pourrait bien le renverser à tout instant?). Son bon sens, quant à lui, lui avait rappelé que son corps n'était pas trop friand à l'idée de se relever et de retourner dans sa cuisine tout de suite. Après un bref coup d'oeil porté à son bras en sang, Ange pousse un ultime soupir et redresse le visage vers... ok, probablement un gars qui fait encore plus flipper que lui, à cette heure avancée de la nuit.
Qui mettait des lunettes de soleil alors que même la lune ne semblait vouloir pointer le bout de son nez?

Il a un rire teinté d'ironie, lorsqu'il répond.

« Non, vraiment? »

Parce que clairement, n'importe qui aurait pu constater qu'il n'était pas en forme olympique malgré la pénombre. Mais il grogne plus qu'autre chose, lorsqu'il essaye de se redresser seul, comme un grand garçon (parce qu'il n'y a ni Echo ni Apollonia, cette fois, pour prendre soin du petit caneton abandonné sur le bord des routes). Il cache presque le sang qui coule sur sa peau. Et c'est étrange, vraiment, de sentir des blessures qu'il ne s'inflige pas seul (cette fois). Il souffle, tangue presque, et cherche le regard de l'étranger du sien.
Parce qu'il savait pas ce qu'il attendait, exactement, ce gars.

« T'es juste venu dire bonjour (en pleine nuit) au premier gars que t'as croisé? J'ai un resto à aller fermer moi, désolé, pas trop le temps de faire la conversation. »

Sauf qu'il faisait pas mine d'entamer la marche vers son lieu de travail, et pour cause : la jambe sur laquelle il s'appuyait lui donnait presque envie de pleurer (même si la douleur n'était que l'élément déclencheur de toutes ces larmes qu'il contenait depuis quelques jours). Une inspiration, et c'était comme si ses yeux n'avaient à aucun moment été humides.

« Si t'as rien d'autre à faire, sers moi de canne au moins, tu veux. »

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Ange avait envie de répliquer, de dire que, définitivement, il n'avait pas à répondre "avec plaisir" à quelqu'un qui parlait aussi mal en plein milieu de la rue. Surtout quand la demande ressemblait plus à un ordre. Mais dans le regard de l'idiot qui s'était penché sur lui, il lisait autre chose que de la sympathie. Et Ange, ange, il sait lire ces regards là. Il a passé assez de temps dans le marché noir et ses tréfonds pour savoir que c'est l'intérêt qui le pousse à glisser un bras sous le sien pour le redresser.
Mais soit.
Si la mention de son restaurant éveillait tant de convoitise, il allait bien l'utiliser pour le foutre à la porte une fois arrivé. Surtout s'il essayait, comme l'autre gars, de le rouler dans la farine.

« Faut monter la pente, il est au bout de la rue. »

La question le ferait presque grogner. Presque, parce qu'il se contente de froncer les sourcils. En temps normal, il n'aurait eu aucun mal à se débarrasser de l'intrus qui avait jugé bon de s'en prendre à son restaurant. En temps normal, il lui aurait fait peur (car Ange est monstre assez effrayant pour faire fuir sans blesser, la plupart du temps) en quelques secondes, et il se serait enfui de lui-même.

« Un connard de voleur. Faut croire qu'ils savent plus se contenter des non-vendus du restaurant, ils viennent directement s'en prendre au garde manger, comme des rats. Sauf que ce rat-là était armé. »

Et Othello aurait bien pu être surprit par les blessures qu'Ange était capable de s'infliger lui-même. Alors pourquoi tolérait-il si peu la douleur, cette fois-ci? Etait-ce le pouvoir du voleur? Il n'en avait aucune fichue idée et tant pis. Une fois arrivés à destination, après avoir monté quelques marches vers la porte de derrière, Ange se détache de son "sauveur". Et maintenant qu'il peut clairement mieux le voir, il analyse un instant son visage avant de détourner le regard pour aller vers la trousse de secours, commençant à panser ses propres blessures comme un grand garçon  en relevant les pans de son pantalon.

« Je suppose que t'as pas accepté d'être ma canne parce que je t'ai demandé gentiment, hm? Qu'est-ce que tu veux. Et t'avises pas d'essayer de me voler, parce que je crois que j'ai pas assez de patience ce soir pour laisser passer deux fois d'affilé. »

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Il lève les yeux au ciel, Ange. Pas surprit pour un sou, s'y attendait très clairement. De toute façon, dans ce genre de situation il ne faut que rarement s'attendre à la bonté d'âme d'un.e inconnu.e. Et Othello n'avait rien de l'inconnu aimable, si son sourire sibyllin était un bon indicateur. Et lorsqu'il commence à parler de sa contrepartie, il le regarde en coin, ne dit trop rien. Les doigts appuient sur ses propres plaies, les lèvres feulent un instant alors qu'il cale le bandage entre ses dents pour l'accrocher d'une seule main sur son bras. Les gestes prouvaient une habitude, une redondance. Ce n'était pas la première fois qu'Ange s'occuper de ses propres blessures, et ça se voyait.

« Je suis pas en état de courir, j'ai franchement pas le courage d'utiliser mon pouvoir ce soir -sauf sur toi si t'es trop chiant, un sourire amusé se glisse sur ses lèvres à ses propres paroles et il continue, nonchalamment, et enfin, je suppose que t'as pas envie de commencer une course poursuite pour quelque chose qui ne te concerne pas, je me trompe? Sauf si ta contrepartie exige que je te sois encore plus redevable. Dans ce cas, même si tu m'apportes ce voleur je le laisserai filer. »

Une fois les blessures correctement pansées, Ange baisse les pans de son pantalon comme si de rien n'était. Comme s'il n'était pas zébré à l'endroit même où la lame s'était enfoncée, comme s'il n'était pas imbibé de sang (du sien, fort heureusement, n'aurait la nervosité enfoncée comme poids dans le creux de son estomac en rentrant). Et les mains se posent derrière lui, les pieds retrouvent le sol convenablement. Le regard trouve celui d'Othello qui se présente non comme charlatan mais bien comme héros. Ca le fait grimacer d'un beau sourire.

« Ange. Mais tourne pas plus longtemps autour du pot, j'ai un resto à fermer moi. »

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