L’inquiétude avait fleuri dès le premier coup de feu. Les enfants serrés contre elle, Loïs avait fui. Et si la fuite avait été difficile, elle avait pu se réfugier dans sa voiture et rassembler tout son calme pour rassurer les enfants. Sauf qu’elle attendait désormais devant la porte d’une chambre d’hôpital et c’était ici que les nerfs commençaient à s’agiter.

Elle avait amené les enfants chez son père sans souci. Leur avait souri en leur assurant qu’elle reviendrait les voir très vite “avec Papa cette fois”. Mais bien vite, Thomas lui avait appris son hospitalisation et Loïs sut qu'elle n'allait pas revenir si vite que ça avec le père des deux garçons. Et elle avait beau savoir Thomas hors de danger, ce réconfort n’empêchait pas une inquiétude flagrante face au lieu pâle qu'était l'hôpital.
Un soupir et elle toquait à la porte, la poussait pour s’inviter dans la chambre avec un sourire maladroit.

– Hey..

Quel sentiment étrange, toujours, d’être face à lui, lui qu’elle avait pensé être l’homme de sa vie quand désormais, une simple étreinte lui sembla honteuse de sa part. Mais pourtant, Loïs l’avait doucement enlacée, avait soupiré de soulagement avant de s’éloigner et s’asseoir sur la chaise au bord du lit.

– Comment tu te sens..?

Elle avait la main qui démangeait, l’envie de prendre la sienne et sentir qu’il était bien là rien qu’un instant. Ils étaient censés être à l'abri des éclats de sang, alors pourquoi ? Ellipse était définitivement à feu et à sang. Mais le souhait était égoïste, non ? Alors Loïs se contentait de laisser ses ongles taper sur sa cuisse nerveusement, le regard inquiet survolant le visage si familier.

– Je savais pas si tu voulais que les enfants te voient comme ça, ils sont avec mon père. mais si tu veux, ils peuvent venir, il m’a dit qu’il avait la voiture prête à partir si tu voulais les voir maintenant.

Toutes les paroles semblaient fugaces, comme inutiles quand l’inquiétude avait tant joué avec Loïs aujourd’hui.

Il était toujours incroyablement difficile de voir ainsi une personne tant aimée. Et malgré la distance que leur rupture avait amenée, Loïs ne put qu’avoir l’air si tendre quand Thomas lui sourit de cette manière. Elle avait grimacé un instant en le voyant perdre ses mots dans la quinte de toux, fouilla dans son sac pour en sortir une petite bouteille destinée aux deux enfants pour la proposer silencieusement au pauvre blessé.

– Ne meurs pas en t'étouffant maintenant pitié je fais une syncope sinon et ça serait vraiment dramatique.

La voix était douce malgré les sempiternelles piques d’humour et Loïs ne put qu’avoir le regard voilé d’une inquiétude qui ne mourrait pas. Si voir Thomas l’avait rassurée, elle ne pouvait que sentir l’écho de l’angoisse ressentie plus tôt se répercuter sur sa peau. Sans oublier que la vision de Thomas avec de telles blessures était toujours une brûlure au cœur. Peut-être était-ce dans les moments tels que celui-ci que Loïs s’en voulait de ne plus être à ses côtés pour pouvoir se permettre les familiarités qui brûlaient le bout des doigts. Il y avait de ces manies qui ne mourraient jamais.

A ses paroles, elle hochait la tête, souriait alors qu’elle répondait rapidement au sms de son père avant de lever le regard sur Thomas à nouveau.
Un soupir et le sourire se fit grimaçant quand les épaules se relâchèrent de fatigue, comme si elle abandonnait les faux-semblants quand Thomas la remerciait d’avoir fait le strict minimum après tant d’années passées à s’aimer.

– Evidemment que je suis venue, Thomas...

La main n’avait pu s’empêcher de glisser sur la joue, se permit cette vieille familiarité dans ces élans d’affection qu’elle avait toujours, là quand les lèvres se pinçaient et que le regard se faisait fatigué, la main joignant la sienne pour la serrer doucement.

– J’étais morte d’inquiétude, je.. j’allais pas te laisser tout seul à l’hôpital, surtout que ton frère a l’air pas mal occupé et je sais pas s’il pourra venir te voir…  

Elle eut un reniflement de désapprobation à la mention du jumeau mais ne montra pas plus le léger déplaisir éprouvé pour une telle figure des dragons. Loïs n’avait jamais été fan de Stelian et si elle ne le cachait pas, elle ne risquait pas de glisser ses sentiments devant Thomas quand elle savait qu’il était sa seule famille. Le pouce frottait doucement le dessus de la main, dans ces gestes qui ne cessaient de s’imposer.

– Je sais pas si tu as pu voir l’annonce qu’il a faite..? Ça risque d’être mouvementé un petit moment. Enfin bon.. Soupir à nouveau. Ne me remercies pas pour si peu Thomas en tout cas, tu sais que je pouvais pas rester les bras croisés.

Tu le sais, Thomas, non ? Tu sais à quel point le coeur continue à se tordre à l’idée de te perdre.

On ne faisait pas disparaître des années de tendresse en un coup de baguette et il suffisait à Thomas de sentir la pression un peu trop forte sur sa main pour comprendre les émotions à vif après une telle journée passée à se ronger les mains jusqu’au sang. Assez pour la faire rester silencieuse un instant, le temps de rassembler sa contenance et à nouveau poser ce sourire habituel sur les lèvres rouges.

– Tu nous as vraiment fait une jolie frayeur hein…

Des mots vagues car Loïs ne savait toujours plus quoi dire face à Thomas.

Oh la douce familiarité ! Loïs se nourrissait de cette douceur, aussi aigre-douce fut-elle. Il y avait une affection qui ne mourrait jamais entre eux, n’est-ce pas ? Et l’habituelle vulgarité ne put que faire lever les yeux au ciel à la jeune femme à son tour avant de jeter un regard amusé à Thomas.

– C’est toi l’emmerdeur Law déjà.

Il fallait toujours qu’elle riposte à sa vulgarité, enrobe la tendresse dans un voile de paroles brutes comme ils l’avaient toujours fait. Ces bonnes vieilles manies. Thomas se contrariait et Loïs fronçait tout autant les sourcils, soupira alors que les mains avaient accompagné son dos lorsqu’il grimaçait pour se relever, debout à ses côtés.

– Désolé, j’ai essayé de t’appeler en voiture mais je captais pas du tout.. Et avant j’étais un peu trop occupée à garder les enfants avec moi dans le mouvement de foule. Enfin bon.. C’est fini de toute façon.

Sauf que Thomas restait silencieux trop longtemps, avec cet air qu’elle ne connaissait que trop bien. Soudainement immobile à ses côtés, le regard se durcit et, tendue d’appréhension, elle s’assit à nouveau au bord du lit.
Elle n’eût pas besoin de le questionner, non, la confiance régnait et Thomas parlait. Il parlait et Loïs sentait sa mâchoire se serrer un peu plus à chaque mot. Une boule à la gorge, inhabituellement silencieuse, Loïs observa le portable et sentit son sang bouillir tout autant que son ancien amour.

– Putain mais c’est quoi ça encore ? .. Tu penses que c’est lié à ton frère ? ‘Fin je sais pas ça fait des années qu’on est sortis de ces merdes bordel !  

La lèvre se mordit d'inquiétude, plissant la bouche en un trait rouge mécontent. Ne pouvaient-ils pas offrir une vie paisible à leurs enfants ? Si Loïs pouvait sembler calme, c’était la tension dans tout le corps qui trahissait une agitation évidente par delà les paroles agitées.

– Je vais bouger de chez moi aussi, on va pas prendre de risques inutiles. Et putain je veux pas qu’il leur arrive quoi que ce soit Thomas..

La main était serrée par Thomas et elle ne pouvait que serrer la sienne  tout autant, anxieuse encore après le soulagement des retrouvailles. Le regard dans le vide, Loïs pensait, cherchait déjà de quelle manière protéger les enfants du moindre risque. Le revolver allait bien rester dans son sac et le sommeil allait se faire plus court, elle le savait déjà.