les vagues viennent et s’en vont
au revoir Ezra
je ne reviendrais pas cette fois.

***

et je suis convaincue de ne pas l’avoir aimé ー c’aurait été trop douloureux ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ mais
il y a un reste, un sentiment un peu écœurant qui me noue la gorge, brouille ma vue au-delà de la pluie qui ruisselle sur les pavés c’est ー injuste ー hideux mon cœur mis à  nu, jusqu’à ce soir je crois que j’ai été amoureuse de la belle Ezra ー demain il n’en sera plus rien et j’oublierai, les soirées sur la plage où tu m’as embrassé tes infidélités ta cruauté ton sourire ー (ah, assez)

j’envoie plusieurs sms à Midas car je refuse de retourner à mon appartement où restent encore quelques-uns de tes vêtements ; ton parfum sur mes draps je ne peux
pas
dormir, me réveiller, penser à toi, c’est fini
Midas ne répond pas et devant chez lui c’est quelqu’un d’autre que je vois ー la même expression que moi, cette expression des gens qui ne sont pas heureux et souffrent si fort qu’ils le portent jusqu’aux yeux ; je m’élance jusqu’à lui et lui saisis la manche.
Hyppolite.
la voix qui craque et sur mes lèvres je goûte enfin au sel de mes larmes ー ça ne va pas, et Midas n’est pas là.
Qu’est-ce que tu fais là ? (si loin de chez toi
brisé, comme moi)

j’attends  ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ de me réveiller sortir de ce cauchemar j’ai aimé ー pour la première fois ー et j’en suis dévastée ça n’a rien des belles histoires qu’on nous contait, comment peut-on
souffrir ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎autant
comment ai-je pu souffrir  ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎pendant ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ et désirer encore, au fond, y retourner ?


mais si tu es là, toi aussi, c’est que tu sais, Hyppolite, qu’il y a des « au revoir » qu’on doit dire ou que parfois on ne voit pas venir ; tu es plutôt des derniers, je crois, si tu attends ici ー Midas n’est toujours pas là.
Il ne répondait pas d- j’inspire et ça pique les yeux le nez la gorge (ah, assez, libère-moi). Donc je suis venue là. Qu’est-ce qu’il se passe ?
quoique j’ai bien vu les étoiles qui s’éteignent dans tes yeux couleur ciel, les nuages qui derrière s’amoncèlent ー je tends les bras et, avec toute la délicatesse qu’on réserve aux âmes brisées, je t’enlace. entre cœurs malheureux peut-être qu’on peut adoucir légèrement nos maux, ー et si je donne l’impression de faire ça pour t’aider à tenir,
c’est surtout pour que moi, je ne m’effondre pas. Viens, allons ailleurs, Hyppolite. Il pleut. sur nos carcasses tristes, le long de nos joues et à l’intérieur surtout, là où aucune manche ne saura essuyer nos peines ー viens Hyppolite, où, je ne sais pas,

pourvu que tu sois avec moi.

faisons ça meurt sur mon palais, des extrémités jusqu’au myocarde je suis ー gelée.
et je crois qu’on aimerait mieux ne plus bouger du tout en attendant que la pluie passe ー parce qu’elle passera, n’est-ce pas, un jour on retrouvera les ensoleillées dans nos cœurs, on aimera peut-être même d’autres, qui sait ー un jour, le creux qu’ils nous laissent sera comblé.

et les pas jusqu’à ton appartement je les connais, je regarde, à droite, à gauche, si Midas n’est pas lui aussi en train en train de s’y rendre ー peut-être vous êtes-vous croisés et peut-être qu’il veut s’expliquer
peut-être que je vais me retrouver seule, vraiment, ce soir, mais ce n’est pas grave, pourvu que vous ayez votre happy end j’y trouverai un peu de bonheur
(menteuse)
et lorsqu’on franchit les escaliers, le palier et la porte, je suis  ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎soulagée.
il faudra me pardonner mes pensées vilaines pour aujourd’hui, souffrir n’est pas une excuse mais j’ai besoin d’un ami ー les mains qui tremblent, je me traîne jusqu’à la machine à café pour nous en préparer
adoucir l’amertume dans la gorge par une tasse bien trop sucrée ; c’est

pathétique

j’en rirais presque si je n’étais pas épuisée, j’affaisse tout juste les épaules ー c’est  ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎assez
de larmes versées.  
Je suis là, Hyppo. je te pousse gentiment en basculant le bassin, mes mains prises par les tasses, en direction du canapé. une fois assis, ce sera plus simple de ne pas s’effondrer ー Tu veux en parler ?

et est-ce naïf, à mon âge de croire aux contes de fée ?
« ils vécurent heureux. »
ce n’est pas grave
on apprendra seulement à l’être sans eux.

je ne sais pas si cette histoire était faite pour durer mais
c’était les étoiles dans les yeux de Midas lorsqu’il parlait de toi et le sourire soleil lorsque je t’ai rencontré pour la première fois
c’était vous deux, et vous aviez l’air heureux, chaotiques, aussi, mais vous n’êtes pas de ceux qui se contentent des accalmies – qu’est-ce qu’une tempête ou deux, des rafales et des disputes, si demain encore
‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ vous êtes amoureux.

et je n’ai pas les mots pour te consoler, tout de suite, ni l’assurance de te dire que ça va aller car moi aussi, j’ai envie de pleurer, et j’aimerais mieux m’endormir pour espérer avoir rêvé. C’est fini avec mon ex. Ezra, ma plaie – béante, et je n’arrive pas à la refermer – je l’ai aimé, et je le regrette. Mais c’est moi qui suis partie. Il s’est passé quoi avec Midas ?
et pourquoi penses-tu qu’il s’agit de toi, qu’as-tu fait qu’il ne pardonnera pas ? quand on sait qu’il a le cœur grand derrière ses airs méchants et qu’il t’aime
il t’aime tant
quelle est la plaie que tu lui as laissé et n’est-il aucun pansement qui saurait la boucher ?
toutes ces questions, je les ravale en attendant – ton premier sourire de la soirée, parce que ça me manque, le sourire qui chasse toutes les intempéries de ma journée ; et si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera demain, ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ sûrement

‎ ‎ ‎ ‎ et demain
peut-être que ce sont les larmes de Midas que j’irai cueillir sur mon épaule ; prétextant ne pas avoir vu les tiennes la veille pour laisser libre cours aux siennes, funambule en amitié je garderai l’équilibre en attendant que le vôtre revienne – et je me reconstruirai sur mes débris après,

chaque peine en son temps.
T’as de l’alcool ?
il fait trop sobre dans vos cœurs,

c’est déprimant.

A nous.
qui avons aimé
mal-aimé.e mal géré
incapable de digérer ce qui est en train de se passer

et je n’étais pas heureuse, tu m’aurais vu pleurer à chaque fois que je retrouvais ses draps froissés
mais je suis malheureuse du vide qu’elle laisse et
je connais les mécanismes pour combler à ce dernier,
ils seront toxiques, et je serai néfaste,

je le sais.

premier verre enquillé, le visage qui tire à cause des larmes séchées et je ne sens rien comme anesthésiée
c’est
ridicule
de souffrir autant pour quelqu’un qui ne m’a jamais aimé ; la colère s’est dissipée, il reste la misère et la fatigue, les sanglots qui refusent de partir et J’me demande combien de temps elle va mettre à réaliser que je reviendrais pas. Une semaine ? Un mois ? pour combler nos silences, confortables habituellement car on s’y retrouve, ils me désolent à présent car Ezra les meuble à tout instant – (va t’en) – et un deuxième verre pour accompagner le nœud dans mon ventre qu’aucune parole ne saurait délier ;

spirale de haine
pour moi surtout,
d’être dans un état pareil pour une femme qui s’en fout – pour un amour à peine, je me sens dégueulasse, si vaine
Santé, à nous.
les cœurs estropiés.

et
le pire
c’est que je ne sais pas – J’en sais rien, Hypp’. aveu confessé dans les sanglots je ne sais pas je ne sais plus je n’en peux plus
je me voyais vraiment au-dessus de tout ça, l’amour, très peu pour moi ; persuadée que si elle venait à me quitter, ce ne serait rien, que dès le lendemain, je vivrai comme si elle n’avait jamais existé comme si je n’avais
jamais           aimé –
hélas,
peut-être est-ce l’alcool ou peut-être est-ce nos peines qui s’additionnent – ça
tourbillonne
vortex dans la tête j’en ai des migraines, moi aussi, j’aimerais ne plus pouvoir penser sauf que cette pensée aussi file plus vite que je ne saurais la retenir et s’ensuit d’autres qui ne me plaisent pas (je t’ai aimé Ezra tu me manques déjà pourquoi ai-je fait ça
pourquoi suis-je partie
       loin de              toi)

incapable de fermer les valves par moi-même, c’est            ta voix             qui me sort de là. Juste pour ce soir ? sur le ton de la plaisanterie et je remplis nos verres (cœurs) vides – D’accord, Hypp’. Je reste. comme je ne l’ai pas fait pour Ezra – comme Midas ne l’a pas fait pour toi.
je reste, là, à côté, main dans la tienne et –
ça ira. un jour, ça ira
                             ça nous suffira.  

et je trouve que « jamais » est un peu fort – peut-être dans longtemps, plusieurs mois
années
au lieu de vos habituelles quelques journées,

peut-être, aussi, que je pense ça pour me rassurer car je le répéterai des dizaines et centaines de fois, à mes yeux
vous étiez le couple parfait. cet idéal de conte de fées, avec les disputes et les défauts, oui, mais même dans ces derniers vous aviez un équilibre que je vous enviais et je continuerai, je le sais, de nourrir l’espoir que vous vous réconciliez – Hyppolite sans Midas
quelle fin                     morne.
Buvons, oui.
car nous n’aurons aucune autre réponse, d’elle, de lui ; buvons jusqu’à avoir le tournis, c’est tout ce qu’il nous reste pour combler nos cœurs démunis – pour ce soir, au moins, ils seront sous anesthésie  et demain,
         demain, peut-être, les larmes auront tari
et si ce n’est pas demain
eh bien,                                    nous avons toute la vie.