Cinq heures trente cinq. La lumière était toujours allumée au bureau de la pdg de ValentineTech. Il fallait dire qu’une entreprise ne vivait pas sans dur labeur et Ezra faisait partie de ceux qui se déchaînaient sur leur bureau. Un projet personnel, un jeu ou même du travail pour les Dragons, Ezra n’arrêtait simplement jamais. Et jusqu’au petit matin, elle se perdait entre le café, l’odeur des cigarettes de thé et ses écrans.

Huit heures cinquante, la vie avait commencé à reprendre à ValentineTech et la cheffe d’entreprise gérait son monde d’une main de fer, pendue à son téléphone quand elle prenait part aux discussions avec de multiples partenaires d'affaires. Le travail dans le sang, Ezra s’agitait jusqu’à l’heure qu’elle ne savait point fatidique pour son favori.

Debout face aux écrans qu’elle projetait, Ezra réfléchissait quand Elliot s'annonça, la voix chevrotante. Et de suite, Ezra sut qu’il y avait un souci.
Alors de toute sa stature, un sourire d’une chaleur brûlante au visage, elle avait accueilli Elliot.

– Elliot ! Tu es en avance dis-moi.. Et c’est quoi cet air pâlichon hein ?  

Une main qui ébouriffa les cheveux, le regard vif qui cherchait la moindre information sur un visage qui ne reflétait que l’angoisse sans donner une seule réponse, Ezra ne pouvait que sentir les problèmes venir. Alors elle avait effacé les écrans d’un geste de la main, avait retiré les lunettes du bout de son nez et s’était assise au bord de son bureau, l’air sérieux.

– Y’a un problème, non ? Je t’écoute.

Silencieuse, Ezra donnait toute son attention au stagiaire, preuve d’un attachement évident pour une jeune femme aussi insolante dans ses relations.  

Oh, elle n’était pas dupe, Ezra. Elle voyait bien le cinéma d’Elliot et ne pouvait qu’un peu plus s’impatienter à chaque parole futile, le sourcil haussé.

– Elliot, ma patience a des limites….

Il n’avait pas fallu beaucoup de temps pour qu’elle remarque l’enveloppe entre les mains. Encore moins pour qu’elle comprenne ce dont il s’agissait et qu’elle ne sente l’agacement former un nœud dans sa gorge. Comment son meilleur stagiaire pouvait-il l’abandonner ? Comment le pouvait-il alors qu’elle l’avait elle-même choisi ?
Le regard se faisait si dur quand Elliot se débattait avec les mots. Il se débattait et la lettre finissait sur son bureau. Et Ezra, glaciale, ne pouvait que laisser son regard dur osciller entre la lettre et son stagiaire, l’air profondément agacé. Comme un insecte posé sur son espace, Ezra avait saisi l’enveloppe, marmonnant “bordel sérieusement” quand elle déchirait le papier pour lire les mots en diagonal. Déception, colère, tout traverse le visage quand Ezra baissa la lettre. L’empathie n’avait pas lieu d’être. Elle fixait Elliot, l’écoutait déblatérer ses excuses sans pouvoir se défaire de ses pensées.

Elle s’était trompée. Elliot n’avait pas les épaules. Il était faible. Et Ezra n’aimait pas se tromper.

Piquée dans son égo, Ezra le jaugeait froidement, croisant les bras alors qu’elle jetait la lettre comme un détritus repoussant, se levant pour s’approcher, lui faire face et le dominer du regard vif. Un regard déçu.

– Si tu fais ça, tu ne pourras plus mettre un pied ici. Ça sera fini. Ma main ne se tend qu’une seule fois, je refuse les incapables. Et si tu ne peux pas tenir le coup, tu en es un.

Les bras croisés, Ezra avait l’air si déplu. La vérité, c’était qu’elle ne voulait pas perdre son meilleur élément. Pas quand elle s’y était en plus tant attachée. Mais Ezra est une vipère. Un soleil qui se fait glacial quand la nuit éclipse sa lumière. Alors elle ne pouvait pas simplement exprimée une certaine tristesse à Elliot. Ni son inquiétude. Non, son égo la rongeait, lui imposait cet air hautain et ce regard cruel quand ses mots se faisaient amers.

– Rien que le fait que tu déposes cette lettre sans une once de fierté, la queue entre les jambes… Tu me déçois beaucoup Elliot. Alors ne me sors pas des “pour le moment”.

Pourquoi tu ne te bats pas, Elliot ? Pourquoi tu ne restes pas ?

Les pupilles plongées dans celles du stagiaire sont des flammes éreintantes, aussi tranchantes que le silence dans la pièce. C’était une trappe de glace brûlante sur les épaules d’Elliot, un jugement flagrant quand la déception animait la colère en son sein cruel. Ezra faisait peser son courroux sur la frêle carcasse de l’étudiant, l’assommait de la grandeur de son propre squelette, ce cadavre qu’elle avait traîné à travers tout pour la gloire. Pourquoi était-il si faible quand elle, si grande, avait vaincu chaque épreuve sans une plainte ?

Dis-lui Elliot, pourquoi es-tu si lâche face à cette adversité ? Pourquoi laisses-tu les sanglots t’envahir ?

Au désespoir, elle ne répondait que de ce regard de plus en plus indolent. Chaque mot n’était qu’un coup de balai de plus sur sa pitié. A quoi bon avoir pitié du tapis à son entrée ? Car Elliot n’avait plus rien d’admirable quand il crachait ses poumons dans l’espoir vain de se défendre.
Les pas se firent dans le bureau, la silhouette rejoignit la vitre, le regard se perdit sur la ville, loin de ce traître qui n’avait su rester à sa place.
Mais Ezra n’avait pas fini de s’occuper de ce cas, elle n’avait pas fini de planter ses crocs dans sa chair, déchiqueter cette âme qui l’abandonnait quand elle lui avait tout donné sur un plateau. Sa confiance, son amitié, son respect. Tout semblait voler en éclat face à la déception, cet égo écrasé par un changement de plan amer.

Une main se leva, comme toujours, balaya l’air pour matérialiser un hologramme défilant d’une liste de noms. Amère, si vile Ezra quand elle ne pouvait avoir la main mise sur ce qu’elle désirait, elle qui pourtant, était incapable d’aimer tendrement.

– Qui ne serait pas volontaire pour bosser à mes pieds Elliot ? Tu n’es pas unique. Je peux trouver un candidat volontaire rien qu’en posant un pied hors de ce bureau, ils n’attendent que ça. Je n'ai qu'à piocher dans une liste.

Glacial était le feu dans le regard quand elle le posa une dernière fois sur l’estimé déchu. Un regard aussi coupant que sa langue.


C’était un coeur trahi, un égo toxique, qui prenait le dessus sur chaque chaleur. Ezra n’acceptait pas la médiocrité. Mais pire que tout, Ezra ne supportait jamais l’échec. Ainsi ce matin-là, Ezra faisait face à son échec : elle avait échoué à faire d’Elliot un être suffisant.

– Alors quoi ? J’ai l’air d’en avoir quelque chose à foutre de tes problèmes ?

La tête haute, Ezra, la tête haute et l’inquiétude derrière la colère déçue ne se montrera pas ce matin-ci.

Le regard tranchant d’inintérêt, Ezra restait droite sans une once de culpabilité. Il ne fallait jamais faillir, toujours avoir cet air indolent car c’était là que reposait la plus terrible des cruautés. Ezra prenait les cœurs et les tordait pour mieux les réduire en cendres s’ils ne pouvaient rester entre ses mains.  C’était bien son souhait face à Elliot : profondément blesser, planter ses griffes profondément pour laisser une trace indélébile sur le traître.

Et Ezra n’était pas dupée par les mots d’Elliot, elle savait réussir à l’abîmer, Ezra savait si bien faire mal après tout. Alors sur les lèvres un sourire s’étira, vil dans sa chaleur excessive.

– La dignité ne donne rien, on arrache ce qu’on veut dans ce monde, Elliot.

Là reposait sa dignité. Dans l’écrin superficiel de l’argent, Ezra l’avait tuée pour mieux régner sur son microcosme, à la botte des plus puissants, à la botte des plus cruels, elle avait  trouvé une nouvelle dignité dans la crasse de l’argent sale, ce pouvoir inégalable.

Pourtant, elle avait une pointe au coeur, un terrible pointe au coeur. Ezra était plus qu’une tortionnaire aux mains pleine d’or vert. Elle était malsaine, bourrée d’un amour déplacé possessif et tortueux. Ce matin-là, Ezra ne punissait pas l’employé, elle punissait l’être chéri. Car un simple stagiaire se remplaçait réellement, Ezra n’avait pas menti. Mais c’était l’amitié d’Elliot qui n’était pas remplaçable. Alors Ezra avait sévi plus fort, plus qu’elle ne l’aurait fait avec une simple déception. C’était le coeur qui était touché par delà l’ego et Ezra ne pouvait pas simplement se taire et le renvoyer chez lui, non, il fallait qu’elle fasse mal, qu’elle s’impose dans son esprit une dernière fois. Qu’il la haïsse ou qu’il la chérisse, Ezra voulait simplement qu’Elliot soit toujours sien.

Ouvrir la porte, la tête haute, n’était pas difficile. Continuer à le regarder avec dédain non plus quand elle était tant blessée par l’abandon.

– Au revoir Elliot. Et non, tu n’as plus grand chose à faire à part chouiner justement. Tu connais le chemin de la sortie.

Le regard était certain quand il était plongé dans celui de l’ancien stagiaire. Impossible à sonder quand le sourire était identique à tous ceux qu’Ezra pouvait faire à longueur de journées.

Qu’il soit blessé, qu’il soit brusqué, Ezra n’en avait que faire aujourd’hui, égoïste monstre jusqu’au bout des doigts. Cependant, une brillance dans l’oeil ne saurait cacher la peine quand elle ferma la porte au nez d’Elliot. C’était une colère monstrueuse qui se déchainera les heures suivantes. Dragon enflammé, elle se consumait, dévorait chaque victime passant sous son regard.

Et quand bien même, Ezra aimerait toujours Elliot