Les joues encore pleines de la vingtaine et pourtant déjà la dureté de la vie adulte sur les traits. Celle qui fut soldate se retrouvait générale, guide d’une milice quand le cœur a perdu le mentor. Et malgré la peine, elle était prête, droite dans son costume de cheffe d’orchestre après si peu de temps aux reines des troupes. Le pas certain et la tête haute, elle s’élançait jusqu’à ses responsabilités, l’air impassible quand une nouvelle recrue l’attendait.

L’essence brûlait le nez alors qu’elle allumait une dernière cigarette, entrant dans le repère des panthers avec sa nonchalance habituelle. Le regard se perdait sur la silhouette face à elle, une silhouette qui se détachait du lieu familier alors qu’elle lui faisait face pour la première fois. Toujours, Lagertha réclamait un entretien avec les nouvelles recrues, un moment où elle trouvait le moyen d’imposer le respect, elle qui était débutante dans ce rôle de cheffe.

Le regard froid, appuyée au mur, elle jugeait du regard la jeune femme face à elle. Antonie n’avait rien d’exceptionnel, rien qui lui donnait cette flamme quand les pupilles la sondaient. Mais Lagertha savait déjà que les banals écrins pouvaient cacher des lames aiguisées. Alors elle se contentait de fumer sa cigarette, fit grincer le gant de cuir quand elle tira une chaise pour s’y asseoir, indolente face à Antonie quand la voix ordonna fermement “assis-toi”, le corps attendant qu’elle s’abaisse pour seulement s’abaisser à son niveau. Il y avait l’hésitation au fond du cœur quand on peinait encore à décider de l’attitude qu’une cheffe devait avoir. Quelle cheffe voulait-elle être ? Lagertha n’en était pas encore certaine quand bien même l’expression jamais ne le montrait.

– Lagertha Nielsen, je pense que tu sais déjà qui je suis pour toi maintenant.

Les lèvres qui se descellaient seulement pour quelques mots. Lagertha accueillait Antonie avec l’empathie d’une porte de prison, par caractère, par fierté, peut-être beaucoup par crainte de ne pas être assez qualifiée pour remplacer l’être cher que fut jadis l’ancienne cheffe de milice. Alors elle ne pouvait que laisser les pupilles sombres creuser l’âme d’Antonie en se demandant si ce visage de poupée pourrait bien lui offrir une violence à la hauteur de sa rage.

La tête haute toujours et le silence qui règne dans la pièce, le regard de Lagertha, cette chape de béton, était faite pour peser sur les épaules d’Antonie.

Et il y avait une prestance dans la stature, une droiture dans ce regard froid, pesant telle une chape de béton sur les épaules d’Antonie alors que Lagertha la jaugeait du regard. C’était le regard d’une panthère sur Antonie quand elle la dominait ainsi de toute sa hauteur, majestueuse dans la menace qu’elle représentait toujours.

La cendre brûlait au bout de la cigarette qui se consumait dans le vide, le regard ne cillait pas. Point de souvenir de ce visage encore rond de jeunesse. Elle ne se souvenait pas, ne gardait aucune attache si ce n’était dans la famille des félins. Mais Antonie était désormais panthère et Lagertha allait pouvoir voir si la férocité féline était à la hauteur de ses attentes. Et si elle souhaitait découvrir l’agilité dans la bataille au plus vite, il lui fallait tout d’abord bien savoir si l’animal était pourvu d’une langue aiguisée, docile ou sauvage. Le manque de paroles n’était pas une tare pour la milicienne mais elle attendait de ses subalternes l’anticipation de ses attentes.

Etait-ce là la bonne manière de diriger ?

Elle ne le savait pas certainement mais voyait là la plus noble manière d’être respectée. Alors le sourcil se hausse face à la réponse taciturne, Lagertha souffla la fumée de sa cigarette, jeta le mégot avant d’offrir ses mots.

– N’est-ce pas la norme de se présenter à sa supérieure en dehors de ses murs ? Je ne te demanderai jamais d’être une lèche bottes pleine de belles paroles mais j’attends des présentations pour la forme, qu’importe que je connaisse déjà ton identité, Antonie.

Trouver l’équilibre entre humanité et brutalité pour mieux diriger. Lagertha commençait à trouver ses traces et ne put que poursuivre les questions.

– Tu as déjà de l’expérience de ce que j’ai cru comprendre. En combat du moins. C’est plutôt bon de ce que j’ai entendu mais je me dois de vérifier tes capacités. Des armes de prédilection ? Des faiblesses à connaître ?

Le regard incisif sur la silhouette encore, Lagertha voulait tout savoir pour aiguiser la lame face à elle.

Ça faisait bien des années que Lagertha n’avait plus tremblée comme Antonie. Elle avait pris du grade, pris des croix sur le tableau de chasse et les gants avaient eu le temps de recouvrir le sang sur les paumes.
Alors il y eut un sourire presque imperceptible quand elle voit la recrue si fébrile sous son regard, toujours aussi glacial.

Plus immobile qu’une statue, la bouche resta fermée quand les mots se turent. Il n’y eut que la tête qui se hocha, le regard désabusé quand elle fit craquer sa nuque et ses poignets. Antonie allait avoir droit à un avant goût de sa force, un centième de son savoir pour jauger celui de la recrue.

D’un geste de la tête, alors que le corps s’était nonchalamment fait menaçant, Lagertha invitait Antonie à approcher.

– Tu vas devoir essayer de riposter. Tu as le champ libre.

La confiance dans les pupilles et les muscles tendues, elle n’attendit qu’un temps minime pour s’élancer sans attendre de réponse. Incisive, le regard aussi piquant qu’une stalactite, elle ne ralentit son geste qu’un peu pour offrir à Antonie une chance, une seule en ce début de combat. Car Lagertha, même avec une force minime, comptait bien établir sa supériorité sans épargner le corps face à elle. Elle finirait pleine de bleus, Lagertha ferait couler le sang pour mieux les panser une fois les preuves faites.

Il n’y avait pas de pitié dans le regard, aucun regret apparent quand le pied vint percuter l’épaule violemment. Mais pourtant, le coup avait été contrôlé, maîtrisé quand elle évitait de percuter la mâchoire. Après tout, elle se devait de voir les capacités d’Antonie, elle ne devait pas la mettre au tapis avant de l’avoir testée. Et Lagertha attendait beaucoup. Alors elle l’épuiserait jusqu’à satisfaction.

Les coups s’enchaînaient sans que Lagertha ne s’épuise. Elle gardait ce rythme de croisière pour une combattante expérimentée comme elle, évitait les coups pour mieux se glisser dans les failles d’Antonie. Un coup trop faible, une ouverture, une lenteur et Lagertha se faufilait pour mieux abattre des coups stratégiques : jamais de trop, toujours si maîtrisés, elle qui se déchaînait pourtant comme un fauve dans son regard d’ébène.

Silencieuse, vive et observatrice, Lagertha, glissée comme une lame contre la recrue, saurait bientôt si cette nouvelle pourrait sortir des griffes assez longues pour être une arme de choix. Et sur les lèvres quand la violence se déchaînait, un sourire glacial, le plaisir dans les coups.