LA TEMPÉRANCE

On a dû tirer cette carte à l’envers à sa naissance. Temperance Bland. Bland, aussi bien dire beige. Temp, comme temporaire. On le croirait né en costume cravate, destiné à faire danser ses doigts sur un clavier craquant, au rythme des aiguilles d’une vieille horloge au mur. Sans doute, c’est ce que les étoiles avaient en tête pour lui, s’il n’était pas né un bâtard. Il y a quelque chose dans cette condition qui pousse à rejeter les destins bien tracés, à vouloir s’élever de toutes ses forces plus haut que sa station.

Mon pauvre garçon, on t’a bien mal nommé.

Costume gris sur un coup de grisou. Il arrive que la pression soit trop forte, qu’elle fasse sauter quelques-uns de ses boutons. Pas de progrès sans explosion, n’est-ce pas le principe-même de l’industrie ? De la Tempérance, il n’a que les illusions. Tout paraît bien harmonieux à qui ne sait regarder, qui ne voit pas sous le reflet poli institutionnel cette volonté rageuse d’avoir le dernier mot.

Il aime jouer le consigliere.
Non, je ne suis pas comme elleux, moi je ne fais que les comptes.

Il se voit grand banquier, avec les dents serrées du petit bandit. Plus gangster dans l’âme que sa collection de cravates soyeuses ne veut l’admettre.


capricorne • économe • ambitieux • obsessif • prudent face à ses connaissances • franc devant ses proches • plein de jugement • réfléchi la plupart du temps • jusqu’à ce qu’il ne le soit plus et là c’est n’importe quoi • orgueilleux • stratège • rancunier • superstitieux • tenace • vraiment tenace, c’est un peu effrayant • pessimiste, bien qu’il aime se dire réaliste plutôt • compétitif • incapable de prendre un compliment • hyperactif • adepte de sensations fortes • à deux doigts de la crise de nerfs

tw pour un peu de violence


Pour faire sa place dans ce monde, il faut s’armer de patience, il faut rester à l'affût de la moindre erreur, il faut se défaire de toute compassion inutile. Voilà enfin que ces trois principes te servent, lorsqu’enfin, à ton hameçon, mord un gros poisson. Ce n’est pas un requin qui t’entraînera dans la mer pour t’y mettre en pièces, non, c’est un poisson en costume de fonctionnaire qui, pensant ne pas être vu, dans la cuisine s’amuse à jouer avec la nourriture. Ce n’est pas bon pour le restaurant, qu’un client y meure ainsi. Mais c’est bon pour toi.

C’est ce poisson imprudent que tu rencontres dans un stationnement vide. Tu peux voir la lueur rougeoyante de sa cigarette comme une petite luciole mourante. Tu le vois te toiser dans la noirceur à mesure que tu approches, sans doute essaie-t-il de se rappeler de qui tu es, du moment où il a commis son erreur. Il semble s’en rappeler avant que tu lui adresses la parole. Il te sourit.

« La serveuse. »

Déjà, il semble satisfait de t’avoir battue à ce petit jeu. Tu n’entends pas le laisser satisfait trop longtemps. Tu ouvres la bouche, mais encore une fois, il parle plus vite que tu ne le peux.

« On pense toujours à se méfier des puissants, mais c’est vers le bas qu’il faut regarder, n’est-ce pas? »

Il te fait un clin d'œil complice qui te dégoûte un peu.

« J’ai vu ce que vous avez fait, avec les assiettes. »
« Et ça ne vous a pas empêché de les mettre sur la table, ces fameuses assiettes? »

Un sourcil blond qui s’arque, l’air désintéressé, mais le fond des yeux tranchants, il te tape déjà sur les nerfs. Tu comprends cependant ce qu’il fait chez les cobras. Tu n’as pas envie de jouer à son petit jeu, alors tu coupes court, les bras croisés sur ta poitrine.

« Combien? »
« Combien pour quoi? »
« Pour mon silence, évidemment. »

Ton ton trahit ton irritation grandissante. Cela semble l’amuser, à voire la pichenette joueuse qu’il donne à son mégot qui va mourir sa mort abjecte dans une flaque d’eau.

« C’est à vous de me le dire, mademoiselle. »
« Cinq mille. »
« Cinq mille? »
« Par semaine. »

Il éclate de rire. Cependant ton œil averti capte une tension dans sa mâchoire, une crispation dans cette fausse aisance dans laquelle il s’est appuyé sur le capot d’une voiture. Cette tension s’évanouit cependant lorsqu’il te fait signe d’approcher.

« J’ai une meilleure idée », souffle-t-il à voix basse, te forçant à te pencher vers lui.

Tu entends le claquement sec de ses dents avant de ressentir une once de douleur. Tu glapis plus que tu ne cries, surprise par la brûlure. Tu bondis vers l’arrière. Alors il te regarde dans les yeux avant de cracher dans sa main un morceau de viande rougie. Une oreille, sertie d’un anneau doré. Il te sourit de toutes ses dents carmin alors que tes mains cherchent l’oreille qui n’est plus là.

« Je laisse ça sur le bureau de votre patron en chemin vers le bureau, qu’en dites-vous? »

Tu t’enfuis, les mains poisseuses et les yeux épouvantés. C’est bien un requin que tu as tenté de pêcher. Il y a du sang dans l’eau.